INVERSIONS, la première revue gay
C'est en 1924 que Gustave-Léon Beyria, Gaston-Ernest Lestrade et Adolphe Zahnd fondent la première revue gay en France sous le nom d'Inversions. Si Akadémos, qui paraît en 1909, est généralement présentée comme la première revue homosexuelle française, les deux diffèrent nettement. Akadémos se voulait avant tout une revue littéraire et artistique, une revue d'art élitiste comme il y en avait beaucoup à l'époque. Contrairement à Inversions, elle n'affichait pas son identité homosexuelle. Beyria et Lestrade paieront cher leur défense sans dissimulation de l'homosexualité au travers de leur revue. Tous deux écoperont de six mois de prison ferme (ramenés à trois mois après appels et cassation). Après quatre numéros sous ce nom et un cinquième sous le titre L'Amitié, la revue cesse de paraître. C'était il y a bientôt un siècle...
Je trouve particulièrement poignant l'article "manifeste" par lequel les auteurs de la revue ouvrent le premier numéro et que je reproduis ci-dessous in extenso. Il semble encore par certains aspects très actuel, un cri du cœur qui fait écho à la vie de bien des "frères d'amour" d'aujourd'hui.
G.
"Après avoir lu ce premier numéro d'aucuns penseront que INVERSIONS n'est pas une revue de l'homosexualité mais une revue pour l'homosexualité ; ils n'auront pas tort. Non pas que nous ayons l'intention de n'accepter aucune critique, elles trouveront au contraire ici le meilleur accueil si nous les jugeons susceptibles d'apporter quelque lumière dans nos discussions ou de nous aider dans nos recherches. Quant au critiques malveillantes, trop particulières ou de parti pris d'autres feuilles les accueilleront avec plaisir, n'en doutons pas. Elles pourront donc s'exprimer et il est juste que nous nous consacrions tout entiers à la défense de l'homosexuel puisque nous sommes jusqu'à ce jour la seule revue qui se soit fixé ce but.
On connait l'attitude de l'opinion publique vis-à-vis de l'inverti. Nous la croyons tout entière faite d'ignorance et de préjugés. C'est surtout dans ce sens que nous voulons réagir. En dehors de quelques invertis qui s'y sont trouvés poussés par une force intérieure, tant pour se mieux connaître que pour se justifier à leurs propres yeux, très rares sont ceux qui ont tenté de se documenter et d'étudier de près l'inversion sexuelle. De nombreux travaux de docteurs et de psychologues éminents sont pourtant là pour éclairer ceux qui d'ordinaire ne veulent point émettre l’opinion sur une question qu'ils ignorent.
Les sensations différentes, les émotions opposées qui l'assaillent classent l'homosexuel parmi les anormaux. Il serait donc logique que l'hétérosexuel, à son tour, passe aux yeux de l'inverti comme anormal puisqu'il diffère de lui.
Il n'en est malheureusement rien. Trop souvent l'homosexuel se considère lui-même comme anormal, se juge inférieur aux autres, tente de se normaliser et de réfréner ses désirs. C'est pour lui la mort. Nous voulons crier aux invertis qu'ils sont des êtres normaux et sains, qu'ils ont le droit de vivre pleinement leur vie, qu'ils ne doivent pas, à une morale qu'ont créée des hétérosexuels, de normaliser leurs impressions et leurs sensations, de réprimer leurs désirs, de vaincre leurs passions.
Il ne suffit pas qu'ils semblent être une minorité pour qu'on fasse d'eux, des anormaux ou des malades.
INVERSIONS veut être leur Revue, ils y chanteront leur amour aussi beau, aussi noble que les autres amours.
INVERSIONS veut être un lien puissant entre ces parias qui ont commis le crime de ne pas aimer et de ne pas souffrir du même amour et des mêmes souffrances que la majorité de leurs contemporains.
Nous voulons grouper autour de INVERSIONS ceux qui souffrent de leur solitude. INVERSIONS veut être pour eux, l'écho des voix de leurs frères d'amour.
Nous étudierons ici les homosexuels, qui dans la littérature, les arts, la philosophie et la science, se classèrent parmi les génies.
Nous faisons donc appel à ceux, qui, hors de tout préjugé, de toute morale conventionnelle voudront nous aider et nous éclairer de leur documentation et de leurs observations personnelles.
Notre effort se heurtera sans doute à bien des obstacles, à de nombreuses difficultés ; à vous tous, homosexuels, nos amis, nos frères, de nous aider et de nous soutenir.
INVERSIONS"
INVERSIONS, 15 novembre 1924
Ci-dessous, le premier numéro d'Inversions en pdf