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Contrairement à ce que pourrait laisser croire le titre de cet ouvrage, Serge Effez ne se concentre pas spécifiquement sur la transidentité, mais plutôt sur le phénomène global de transitions qui touche en profondeur des facettes très diverses de nos sociétés. Transition dans l’appréhension des genres, remise en question de la norme hétérosexuelle et de la binarité, intersexualité, déconstruction-reconstruction de la notion de famille, de la filiation et de la parentalité, et même des de l'engendrement, mouvement meetoo, problématique du couple et du rôle des parents, PMA et GPA, transexualité, homophobies, bisexualités, fantasmes, sans oublier la question complexe du désir (sexuel, d’enfant, amoureux…), et l’évolution nécessaire des schémas tant juridiques, politiques, que sociaux et même psychanalytiques, à laquelle les individus et nos sociétés doivent faire face, pour l’accompagner, la nourrir, l’impulser.
C’est en psychanalyste que Serge Effez aborde ces différents sujets imbriqués, transversaux, marqués du sceau de cette incroyable révolution des corps, des identités et peu à peu des esprits. Dans cet ouvrage, il est beaucoup question de norme, de son rôle stimulant autant que répressif, de la remise en cause lente ou brutale des principaux schémas qui régissent les rapports familiaux, sexuels et sociaux depuis deux siècles, autour de la domination hétérosexuelle, du mariage et de la conjugalité. C’est cette norme dominante qui subit tant d’assaut depuis quelques décennies, et dont les ébranlements sèment le trouble chez les traditionnalistes, et plus globalement dans l'ensemble de la population qui, consciemment non, vit une inévitable transition, chacun devant renégocier sa place dans un environnement traversé de tensions, de représentations nouvelles, concurrentes et souvent contradictoires.
Serge Effez opère un va et vient stimulant entre d’une part son expérience de thérapeute évoquant donc un certain nombre de « cas » emblématiques, et de l’autre, une synthèse des recherches récentes sur les différents sujets abordés. Avec beaucoup d’empathie, l’auteur questionne ce bricolage individuel, la métamorphose du couple liée à l’évolution de nos représentations sur la masculinité et la féminité, insiste sur la fertilité de ce renouvellement, la richesse du renouveau familial, qui éloigne de plus en plus la société du modèle défendu par les conservateurs du genre "manif pour tous". Familles trans, familles recomposées, couples gays ou lesbiens, fluidité de rôles et des identités paternelles et maternelles, renouveau de ces identités et donc des questions de filiations liées à la transidentité, à la transexualité et aux progrès de la médecine en matière de procréation assistée, etc.
L’ensemble, fort riche, ouvre d’incroyables horizons de réflexion et favorise les questionnements au-delà des attentes personnelles du lecteur. Au fil de l’ouvrage, on perçoit combien la transition n’est pas à comprendre comme une étape entre deux états, mais à penser comme un processus qui débute le jour de la naissance et s’achève à la mort des individus, un processus de bricolage permanent entre l'individu, la famille, la société, et les représentations : « LGBTQIA+, lesbienne,s gays, bi, trans, queers, intersexes, asexuels, indécis… les identités sont pour un temps nécessaires, elles permettent de s’affilier à d’autres que l’on pense comme soi et de lutter ensemble pour la reconnaissance et la visibilité. Le « nous » escamote pour un temps le « je », notre subjectivité hors normes, ce rapport singulier à notre corps, à notre histoire qui ne peut se partager avec tous. Il s’agit pour un temps de défendre ce que nous nous sentons être, homme ou femme, hétéro ou homo, cis ou trans, mais nous savons aussi que les identités imposent de nouvelles normes desquelles il s’agit en permanence de se déprendre. Sexe, genre, sexualité, race, handicap, nos corps sexués, vivants, impressionnés par les relations qui nous ont façonnés, s’extirpent en permanence des identités, des catégories »… (p. 250 et 251)
Un hymne vibrant et généreux en faveur de la fluidité, et contre les rigidités !

G.

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