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Il est des ouvrages malhonnêtes. Paru en 2014, celui de Bérénice Levet en est un. Son titre, « La théorie du genre – la vie rêvée des anges », fonctionne comme un à guêpes. Paré des plus beaux atours, ils a pour fonction d’attirer toutes celles et ceux qui s’interrogent sur cette problématique du genre. Certes, il est bien question de cela dans le livre, mais il aurait été infiniment plus honnête d’intituler cet essai : « Contre la théorie du genre – la vie cauchemardesque des asexués ». Bérénice Levet consacre en effet son énergie à dénoncer « le genre », ce qui est parfaitement son droit. Pour elle, le Genre (c'est-à-dire les conceptions sur le genre) vise rien de moins qu’à détruire la civilisation occidentale et même française (encore faut-il croire qu’il y a une civilisation française). Le Genre, en dénaturalisant les identités masculines et féminines affirme qu’elles sont de pures constructions sociales et culturelles, sans aucun rapport avec un quelconque donné naturel. Citant abondamment Judith Butler, Simone de Beauvoir et Eric Fassin entre autres, l’autrice tombe à bras raccourcis sur les ABCD de l’égalité, pourfend la nouvelle idéologie perçue comme le fossoyeur de l’hétérosexualité et même du désir, rien de moins. Car le désir serait strictement fondé sur le dimorphisme sexuel, sur la différence essentielle entre l’homme et la femme (Levet n’évoque jamais « les » hommes et « les » femmes…), ce « mystère » insondable qui fonde l’humanité. Celles et ceux qui ne connaitraient rien aux études de genre pourront lire avec intérêt ces pages, bien que très répétitives, mais en constatant combien le jugement qui vise à les condamner s’en tient à un rejet moral, fondé sur un conservatisme forcené.
Certes, Bérénice Levet dit s’opposer au Genre sans se retrouver du côté de la Manif pour tous ou des fondamentalistes religieux. Et pourtant, sa rage porte bien plus sur les tenants des théories sur le genre que contre les réactionnaires de tous poils.
Il faut attendre la page 163 sur 200, pour découvrir enfin de proposer une « philosophie à opposer au genre ». Le déséquilibre entre critique (répétitive, insistons là-dessus) et proposition d’une pensée alternative est patent. Il faut dire que si les tenants du Genre depuis les années 1950 (même si à l’époque le terme n’était pas encore employé dans ce sens) ont tenté de s’appuyer sur des recherches pluridisciplinaires au croisement des sciences médicales, de la sociologie et de la philosophie, Bérénice Levet de son côté manque singulièrement d’appui. Car pour s’opposer à un ensemble de théories ou d’études qui démontrent combien le genre est une construction culturelle, Levet s’en remet à « l’expérience personnelle », à l’art et à la littérature ( !).
On croit rêver, mais non. Dans la trentaine de pages consacrées à cette philosophie des sexes, Levet nous explique que les femmes sont « naturellement » plus attirées par l’envie de séduire, de plaire, par les questions d’apparence, et que ce n’est pas incompatible avec leur émancipation. Que la différence de nature entre l’homme et la femme explique absolument les « résistances » nombreuses et visibles à la dictature du Genre, qui ne parvient pas à effacer la féminité et la masculinité, même chez les plus farouches tenantes de l’égalité. Si la philosophe a multiplié les citations d’ouvrages récents sur le Genre pour les fustiger, elle peine à trouver des auteurs sur lesquels appuyer sa conviction d’une identité féminine spécifique. Elle convoque des figures bien anciennes, comme Rousseau, Freud, Merleau-Ponty ou encore Annah Arendt. Mais l’argument massue est celui de l’art et de la littérature, qui, depuis des siècles, explorent avec une finesse infinie les identités sexuées. Si cette différence fondamentale entre homme et femme était un artéfact, l’art et la littérature n’auraient pas produit de telles œuvres à ce sujet.
On l’aura compris, la « pensée » de Bérénice Levet est affligeante et tient en quelques postulats : « Après plus de quarante ans de combat féministe explique-t-elle, les faits n’ont toujours pas donné tort à Rousseau [pour qui les femmes sont naturellement portées à séduire et à plaire]. Nous [les femmes] gardons le goût de plaire et nous y consacrons du temps » (p. 145). « Si le souci de l’apparence, de la beauté, l’amour, la maternité demeurent les prérogatives de la femme, ce n’est pas par aliénation à une société patriarcale, machiste, qui la rendrait étrangère à elle-même, mais au contraire parce qu’elle s’y reconnaît. Se parer, plaire, séduire, aimer, donner la vie continuent de faire sens pour la condition féminine » (p. 201).
On peut ne pas souscrire à tous les discours sur le Genre, mais on ne peut être que frappé par l’indigence de la « pensée » réactionnaire.

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