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Résumé de la quatrième de couverture :
« Adolescent, Bill est troublé par ses béguins contre nature pour son beau-père, ses camarades de classe, et pour des femmes adultes aux petits seins juvéniles… Plus tard, il assumera son statut de suspect sexuel, et sa vie entière sera marquée par des amours inassouvies pour les hommes, les femmes et ceux ou celles qu’on appellera bientôt transgenres.
Dans ce roman drôle et touchant, jubilatoire et tragique, John Irving nous parle du désir, de la dissimulation et des affres d’une identité sexuelle « différente ». Du théâtre amateur de son enfance jusqu’au bar hot où se joue la révélation finale, en passant par la bibliothèque où la sculpturale Miss Frost l’initie — tout d’abord — à la littérature, le narrateur s’efforce de trouver un sens à sa vie sans rien nous cacher de ses frasques, de ses doutes et de son engagement pour la tolérance, pour la liberté de toutes les altérités. »

Ce treizième roman de John Irving nous parle de sexualité et de recherche d'identité. A moi seul bien des personnages est à la fois un roman d'apprentissage classique, celui du narrateur Billy, et un roman sur l' homosexualité, la bisexualité et la transidentité. Car Billy est bisexuel, d'une part, et d'autre part côtoie toute sa vie des gens sexuellement hors norme, de sa famille totalement improbable à ses élèves « en devenir », sans oublier ses amis, ses partenaires et ses mentors...
L'idée n'est évidemment pas de faire un catalogue des particularités sexuelles de chacun, mais de raconter l'amitié, l'humour, l'amour, le désir, les belles rencontres, les moments tragiques, les doutes, les souffrances ; la vie dans toute sa diversité. 

Le premier chapitre s'ouvre sur le narrateur, Billy, jeune adolescent qui se cherche une identité sexuelle. Précisons que nous sommes au fin fond du Vermont, dans l'Amérique des années 60. La quête de Billy est donc par définition discrète et délicate, à une époque où l'homosexualité est encore considérée comme une maladie qu'il faut soigner. Déjà pas aidé par le contexte austère, Billy ne peut guère compter sur des repères familiaux solides : un père très vite volatilisé après sa naissance, une mère fragile voire hystérique, un grand-père jouant exclusivement des rôles féminins dans la troupe de théâtre amateur locale, une grand-mère et une tante (et même une cousine) castratrices. 
Troublé par les « béguins » qu'il éprouve à la fois pour son beau-père, Miss Frost la bibliothécaire, et Kittredge, le lutteur-vedette du lycée, le jeune Billy ne sait plus très bien où il en est.
Ce roman est donc la chronique d'une vie passée à se chercher, à se cacher (années 60), à s'affirmer (années 70), à justifier ses orientations sexuelles (années 80), à s'excuser presque de ne pas être mort du sida (années 90), puis enfin à s'épanouir (années 2000). Des années 50 aux années 2000, le narrateur déroule sa vie, du Vermont à Vienne, de New-York à Madrid, se refusant à choisir entre ses préférences sexuelles.
Cette quête d'identité est le prétexte à une critique de l'Amérique bien-pensante dans laquelle l'homosexualité est une déviance, une maladie mentale que l'on doit soigner. En Europe, Billy se libère de ses entraves morales mais son cas est toujours difficile à gérer ; le bisexuel est mal vu par les hétéros comme par les homos.
Mais au-delà des problèmes, A moi seul bien des personnages est surtout un hymne à la liberté et à la tolérance. Sans parti pris, ni jugement, Irving raconte une communauté qui a beaucoup souffert. Ses pages sur les années sida sont fortes et pudiques. Billy Abbott nous promène dans un monde dans lequel la diversité est omniprésente, mais sans militantisme ou revendications. Il raconte, simplement, avec humour et justesse. Il dit les sentiments, les désirs, le sexe, et les tourments universels qu'ils induisent. Ainsi, quelles que soient les ambiguïtés des  personnages, c'est d'abord la quête d'identité, de tolérance et d'amour. Homosexuels, actifs et passifs, bisexuels, mais aussi transgenres prennent une réalité que certains voudraient ignorer dans le meilleur des cas, éradiquer dans le pire.

C'est un livre aussi cru que drôle, oscillant sans cesse entre légèreté et gravité, avec beaucoup  d'épisodes franchement comiques, mais où le sida, les maladies et la mort viennent aussi assombrir le décor.

Je terminerai par un mot sur le titre (dans sa version française). Il s'agit d'un extrait de Richard II, de Shakespeare. Et tout le roman est placé sous le signe du théâtre, comédie comme tragédie.  Billy – William – partage son prénom avec le Barde, le théâtre amateur occupe une place importante au sein de sa famille, le rôle important de Miss Frost, la bibliothécaire, qui l'initie, entre autre, à la littérature … Les références sont nombreuses, et le récit se fait sous les auspices de Shakespeare, mais aussi d'Ibsen, de Dickens et de Flaubert. Littérature et sexualité s'alimentent l'une l'autre, au fil des découvertes émotionnelles et sensorielles. 

On lit donc ce roman avec beaucoup de plaisir, on savoure les rebondissements qui s'y succèdent constamment, on rit, on réfléchit et on jubile quand Irving s'attaque avec férocité à l'intolérance de l'Amérique puritaine.

JM

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