En groupe, l’aventure d’exister
L’existence est rare. Nous sommes constamment mais nous n’existons que quelquefois, lorsqu’un véritable évènement nous transforme (Henri Maldiney)
L’association Fier.e.s et queer a organisé pour ses membres un atelier de réflexion, de partage, de débat, une expérience à laquelle j’ai eu la chance de participer en l’animant.
Le sujet - genre(s) et dysphorie(s) – est assez sensible, intime, pour que le simple fait de venir échanger avec d’autres, constitue un véritable défi en soi pour chacun.e, certainement une prise de risque pour certain.e.s.
A cet égard, le groupe en lui-même représente à la fois une part du défi, et devient aussi le soutien pour le relever.
Le défi est celui de s’autoriser à être ce que l’on est avec les autres, à apparaître aux autres, à exister ; le risque, celui de la blessure, de se sentir rejeté, exclu, non accepté dans sa singularité, peut-être même de la honte…
Exister avec et dans le groupe a été l’aboutissement d’un processus : sentir, ressentir, s’orienter, et enfin choisir.
Un processus comme un voyage : il y faut de l’audace pour l’entamer, du courage pour cheminer et c’est ce cheminement même qui nous transforme.
Sentir
Cela signifie, au contact de son environnement, se laisser traverser par des sensations ; c’est quelque chose de physique, corporel, sur lequel il n’y a pas forcément de mot. N’avez-vous jamais senti, en pénétrant dans une pièce, parfois un malaise, ou au contraire comme une envie de vous y installer ? Cela ne s’explique pas, ne se dit pas, cela se vit, dans l’immédiateté de la situation présente. Ces sensations constituent en quelque sorte le radar qui nous permet de « tâter la température de l’eau du bain », savoir « ce qui se passe » et qui n’est pas dit, l’atmosphère dans la situation présente.
Ressentir
Ces sensations se traduisent en émotions, sur lesquelles il est possible de mettre des mots. E - motion : mettre en mouvement. Les émotions qui émergent de nos sensations dans la situation partagée avec les personnes présentes vont créer en nous du mouvement : .J’ai peur, je suis curieux.se, je suis en colère, je suis en joie...
S’orienter
L’émotion est comme une boussole, elle permet, dans la mise en mouvement, de se repérer et s’orienter : quels sont mes besoins dans cette situation ?
Je suis triste : ai-je besoin d’être consolé ? Ai-je besoin de partager ma tristesse ?
Je suis en colère : ai-je besoin d’être écouté ? Pris en considération ?
Reste alors à faire un choix : est-que j’exprime mon besoin au groupe ? Comment est-ce que je l’exprime ?
Choisir
Le choix, c’est l’instant qui va nous ouvrir à la possibilité d’exister.
Comment j’existe à l’occasion de ces personnes présentes avec moi, de la situation partagée avec elles : par une parole, un mouvement… En exprimant ce que je ressens ? En le taisant ? En allant vers une personne ? En me repliant sur moi-même ? Lorsque je choisis, en pleine conscience, d’apparaître, de dire, de m’exprimer, d’aller au-devant des autres, alors cet instant constitue un évènement, une rupture dans le tissu des habitudes et, par cette brèche, je fais plus que vivre, j’existe.
Alors, oui, apparaître aux autres est une aventure : un risque et une opportunité, celle de se découvrir soi-même dans la prise de risque, une occasion de contacter ses propres ressources, qui n’attendaient que de s’exprimer, et de les mettre au monde avec les autres pour compagnons, pour témoins, reconnues.
Animer cet atelier, ce fut participer de cette aventure en assurant les conditions de possibilités d’exister pour toustes avec les autres : être garant d’un cadre sécure, contenant, bienveillant.
Ce fut une expérience de beauté pure, que de voir toutes ces personnes, ensemble et de manière singulière, exister.
Claude Bouvier-Clerc