« Fellow Travelers », quand une histoire d’amour croise l’histoire des Etats-Unis…
Réalisée par Ron Nyswaner, le scénariste du film Philadelphia à qui l'on doit un autre drame romantique, My Policeman avec Harry Styles et Emma Corrin, la série Fellow Travelers est adaptée du roman du même nom de Thomas Mallon, publié en 2007. En France, elle est diffusée à partir du 18 janvier 2024 sur Canal+, et elle est disponible en streaming en intégralité sur la plateforme MyCanal.
Sur huit épisodes d'une cinquantaine de minutes chacun, Fellow Travelers déroule l'histoire de deux hommes que, de prime abord, tout oppose ; le charismatique Hawkins Fuller mène une carrière politique et évite les relations sentimentales, jusqu'à ce qu'il rencontre Tim Laughlin, un jeune homme débordant d'idéalisme. Ils entament une romance au moment où Joseph McCarthy et Roy Cohn déclarent la guerre aux "subversifs et aux déviants sexuels", initiant ainsi l'une des périodes les plus sombres de l'histoire américaine du XXe siècle. Au cours de quatre décennies, Hawk et Tim se croisent à travers les manifestations contre la guerre du Vietnam des années 1960, l'hédonisme disco alimenté par la drogue des années 1970 et la crise du sida des années 1980.
Le plus jeune est passionné, bien que tiraillé par la culpabilité suscitée par sa religion. Le plus âgé est de son côté habitué à enchaîner les aventures cachées avec différents partenaires masculins. Très attaché à sa réputation, il est dans une maîtrise constante, tenant à distance son jeune amant pour mieux l'attirer à nouveau dans ses filets. Leur relation ne peut s’écrire que dans l’ombre, dans des clubs gays clandestins ou derrière les portes closes de leurs appartements.
Hawkins choisit de jouer le jeu du patriarcat, en se mariant avec une femme et en allant jusqu’à trahir pour ne pas être découvert. Tim, de son côté, vit longtemps son orientation sexuelle dans la honte, tiraillé entre sa foi catholique et son désir pour les hommes, son amour fou envers Hawkins. La série intéresse non seulement parce qu’elle éclaire sur la violence d’un pays avec ses minorités, mais aussi parce qu’elle met en scène sans retenue les émotions de ses personnages, leur attirance physique, leurs jeux sexuels dans un monde qui ne veut pas d’eux. Un jeu de cache-cache se met en place jusqu’au bout, avec des vies sans cesse habitées par le danger, la peur qui paralyse, l’impossibilité d’accomplir son désir, la recherche éperdue d’un espace à soi. Tout part de là et le spectre peut alors s’élargir sans cesse : aux personnes racisées qui subissent une double discrimination et que la série met en avant avec pertinence à travers la figure d’un journaliste brillant, Marcus Gaines ; aux conséquences que l’homosexualité dans le placard peut avoir sur une famille bousculée par la dissimulation – de ce point de vue, la femme de Hawkins, est particulièrement bouleversante.
Loin d’être chronologique, le récit démarre dans les années 1980, alors que Hawkins, marié à une femme et père de famille, va se rendre au chevet de Tim, atteint du sida. On comprend vite que leur histoire est loin d’être un fil continu. Les pages entre le chapitre initial et l’épilogue se dévoilent peu à peu au long des épisodes, multipliant les allers-retours entre les différentes décennies.
Je voudrais à présent mettre en lumière deux scènes-clés, à mon sens, de la série :
Scène 1 - Hawkins s’invite chez Tim, une petite chambre dans laquelle il est en train de préparer une soupe aux vermicelles. La conversation s'engage sur ce qu'est un péché mortel et un péché véniel. Gaspiller de la nourriture entre dans cette seconde catégorie. "Et si vous me laissiez vous embrasser, ce serait mortel ou véniel ? " demande Hawkins… La religion est omniprésente dans le récit, parce qu’elle est à l’origine d’un certain nombre de questions existentielles. Comment être homo et catholique pratiquant ? Faut-il assumer son orientation sexuelle ? Comment s’engager auprès de l’autre alors que l’Etat et la Religion réprime violemment ces relations ?
Hawkins a choisi de mentir et de mener une vie parallèle avec femme et enfants, pendant que Tim refuse de se cacher…
Scène 2 : Hawkins et Tim arrivent dans un club clandestin avec leur ami Marcus. Le barman alerte toute de suite Tim, le nouveau venu : "Tu vois cette lumière rouge sur la caisse enregistreuse ? Quand elle s'allume, tu ferais bien de laisser 30cm d'espace entre ton ami et toi. En à peine 3 secondes, tu as tous les flics qui débarquent"... Et des descentes, il y en a souvent. Violentes. Jusqu’en 1962, les 50 Etats criminalisent les relations sexuelles entre personnes de même sexe. La suite, c’est une longue lutte de la communauté LGBT afin de faire reconnaître leurs droits. Une histoire qui se mêle à celle de nos deux héros.
Enfin, il est à noter que Matt Bomer, qui joue le rôle d'Hawkins, et Jonathan Bailey, qui joue celui de Tim, sont deux acteurs ouvertement gays qui ont profité de la promotion de la série pour tenir des propos engagés sur les droits des personnes LGBTQIA+.
Je conclurai en disant que « Fellow travelers » possède cette qualité que j' apprécie particulièrement dans un film ou une série : quand la fiction nous permet de mieux appréhender une société et nous offre un regard critique sur un période historique.
JM