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C'est un grand terrain de nulle part
Avec de belles poignées d'argent
La lunette d'un microscope
On regarde, on regarde, on regarde dedans

Pourquoi introduire ce compte rendu par des paroles de Comme un lego d’Alain Bashung...
Poète du rock français, il a su bousculer les codes et repousser les limites de la chanson. Bousculer les codes, il en est question dans cet essai. En défiant les normes et les catégories, les corps trans* sont des lieux d'invention et de résistance. Ils nous invitent à célébrer la diversité des expressions de genre et à reconnaître que le corps est un projet en perpétuelle construction… « comme un lego » formant des architectures qui « sont en état d’émergence et d’effondrement constant »

Jack Halberstam, professeur.e à Columbia et directeuriste d'un institut de recherche consacré aux études de genre, s'est fait connaître pour ses travaux novateurs croisant théories queer et analyses culturelles. Dans Trans*, iel propose une exploration décomplexée de la variabilité du genre en s’appuyant sur des figures ou éléments issu.es de la culture populaire, invitant ainsi le lecteur à repenser les catégories binaires et à célébrer la fluidité des identités. Cet essai s’ouvre sur l’évolution historique des termes utilisés pour décrire les personnes trans*. Les mots ne sont pas neutres et façonnent notre perception de nous-mêmes et des autres. L'émergence de la psychanalyse, associée à une volonté de classifier les comportements humains, a profondément modifié les représentations du désir et de l'identité sexuelle. Ces classifications ont malheureusement servi à justifier des projets racistes et à renforcer les hiérarchies sociales en liant de manière arbitraire race, genre et sexualité. Ces dernières décennies on a assisté à une révolution du langage autour du genre. L'émergence de termes plus inclusifs a permis de sortir d'un cadre médical rigide et a donné la parole aux personnes trans* pour exprimer leur diversité. L'exemple du pronom "iel" illustre bien cette évolution, montrant comment le langage peut s'adapter pour refléter de nouvelles réalités identitaires. L’auteur.e propose ainsi l’emploi de l’astérisque, trans*, l’ajout d’une étoile filant sur le spectre du genre, pour faire des personnes trans* les auteuristes de leur propre classement, tout en mettant en lumière les contradictions inhérentes à la visibilité : si celle-ci peut améliorer la vie de nombreuses personnes, elle expose aussi à de nouveaux risques de contrôle et de catégorisation.
Comment représenter les corps trans* ? En critiquant les représentations traditionnelles qui réduisent les corps trans* à des objets d'étude ou à des exemples de « non-conformité » Jack Halberstam propose de considérer ces corps comme des entités complexes, en constante évolution et résistant aux classifications binaires. Pour cela, iel propose de prendre appui sur l'haptique, c'est-à-dire la perception tactile et sensorielle, offrant ainsi une alternative aux approches "cousues-main" de l'expérience transgenre, mettant l'accent sur le processus de fabrication et de transformation du corps. Cette approche permet de décentrer le regard médical et de valoriser les expériences individuelles. L'artiste Harris Dodge est également présenté comme un exemple de cette approche haptique. Ses œuvres, souvent humoristiques et oniriques, explorent les limites du langage et de la représentation. Elles invitent le spectateur à ressentir plutôt qu'à comprendre, à se laisser porter par l'expérience plutôt que de chercher à tout catégoriser.
Le texte explore également les tensions historiques entre le féminisme et les personnes transgenres, en particulier autour de la question de l'inclusion des femmes trans* dans les espaces féministes. Iel retrace les origines de ces tensions depuis les années 1970, avec des figures comme Janice Raymond et son ouvrage "L'Empire transsexuel" qui exprimait une vision très négative et exclusive des femmes trans*…
En s'inspirant de travaux sur le transféminisme en Amérique latine, notamment en Équateur, l'auteur.e montre que les luttes trans* et féministes sont souvent interdépendantes et partagent des objectifs communs. Iel suggère l'importance de reconnaître les "symétries sous-jacentes" entre différents groupes marginalisés et de construire des alliances solides.  Il propose de déplacer le focus de ces débats identitaires vers des enjeux plus larges comme la lutte contre les inégalités économiques, le racisme et l'impérialisme.

Fluidité du genre, intersectionnalité, langage et son évolution, importance des communauté, culture queer, transféminisme, représentation des corps… autant de thèmes abordés avec souvent beaucoup d’humour. On peut peut-être reprocher à cet essai de « noyer » lela lecteuriste dans un flot de disgressions.  Mais naviguer ainsi sur le genre, coincé.es que nous sommes souvent dans la coquille de noix de la normalité, est sacrément jubilatoire. 
Alors je mets mes chaussures rouges et danse le blues à l’invitation de Bowie, ajoute une étoile à mon prénom pour être résolument indéfini.e.
Let’s dance !
S*..

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