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Dans ce livre quelque peu jargonneux et parfois difficile, Alain Naze règle ses comptes avec le mariage pour tous, le coming out, et le label LGBT, synonymes d’une forme de « normalisation gay » désespérante et préjudiciable pour les gays en particulier et pour la société en général.
Une position critique aussi minoritaire devrait intéresser tout être pensant, sauf à se satisfaire de quelques certitudes largement partagées.
Alain Naze ouvre le bal des remises en question par le processus qui a mené, après le vote du PACS, à celui du mariage homosexuel, rappelant à l’occasion que dans les mois qui ont précédé l’adoption du texte, d’autres options ont été envisagées pour le PACS par exemple : celle d’un lien entre individus d’une même fratrie. Une possibilité évacuée dans le texte final. Mais surtout, Alain Naze montre combien le mariage pour tous, qui constitue un droit nouveau, s’inscrit dans un processus plus global de droitisation du mouvement homosexuel. Lorsque ce mouvement émerge dans sa phase radicale dans les années 1970, c’est sur un programme globalement révolutionnaire qui vise à rompre avec la domination hétérosexuelle et patriarcale de la société capitaliste. Les années passant et l’épidémie de Sida aidant, le mouvement homosexuel a subi de plein fouet le reflux de la révolte soixantuitarde, les homosexuels revendiquant toujours plus de droits positifs nouveaux, des droits visant la reconnaissance, l’intégration et finalement la normalisation dans le sens d’une adhésion à la norme hétérosexuelle dominante. Car le mariage « gay » que nous connaissons ressemble fort au mariage hétéro. Il en a tous les contours, faisant de l’homosexualité à la mode mariage une forme de relation reconnue par l’État, cet État que voulaient détruire les révolutionnaires de 68.
Si les homosexuel.le.s d’aujourd’hui se retrouvent dans le mariage « pour tous.tes », sous la forme d’une union limitée à deux personnes, c’est bien parce que ces homosexuels ont perdu la radicalité de leur aîné.e.s. Ou plutôt ne l’ont jamais épousée.
Alain Naze, à la suite de Foucault, Hocquenghem et Pasolini, régulièrement cités dans l’ouvrage, revendique une homosexualité transgressive, « dérivante », incapable de s’apparenter à la conjugalité instituée par le mariage que nous connaissons.
La critique du coming out généralisé relève d’une même logique. Ceux qui encouragent les uns et les autres à rendre publique leur homosexualité, ont pour objectif la normalisation, le fait que l’homosexualité soit reconnue comme acceptable. Ils et elles véhiculent donc une conception de l’homosexualité normalisée et « sage », inacceptable pour Alain Naze.
Pour lui, la droitisation des homosexuel.le.s s’est manifestée également au travers d’une forme de nationalisme et d’islamophobie, consécutive d’une adhésion à une vision républicaine de la laïcité, qui tend à voir dans l’islam aujourd’hui un ennemi des LGBT mais également de la République. Une fois de plus, pour bien comprendre le raisonnement, il faut comprendre qu’Alain Naze se situe, en tant que révolutionnaire, se situe en dehors du champ républicain, la République depuis ses origines s’apparentant à la domination bourgeoise et au colonialisme (impérialisme). Domination des classes laborieuses, domination des peuples colonisés.
Selon un même raisonnement, la généralisation à l’échelle internationale du terme « LGBT » et de la dynamique universaliste dont il se veut l’expression, est perçue comme le vecteur de l’impérialisme occidental qui tend à imposer là encore ses normes à l’ensemble de la planète. Alain Naze reproche aux militants LGBT de vouloir exporter sur la planète entière le modèle qu’ils jugent ici désirable, comme le mariage homosexuel, qui ne répond pas aux aspirations des populations non occidentales. Il accuse les LGBT d’être les vecteurs plus ou moins conscients de l’impérialisme américain en fait, puisque le mouvement LGBT international est profondément influencé par ses organisations américaines. La généralisation du drapeau arc-en-ciel constitue pour Alain Naze le symbole de cette diffusion d’un discours qui voit dans le progrès à l’occidentale le graal absolu, sur lequel devraient s’aligner les pays non encore perçus comme démocratiques. Il attire notre attention sur le fait que dans certains pays, des dirigeants peu regardants sur la question des droits humains se montrent accueillants vis-à-vis des LGBT espérant ainsi, aux yeux des occidentaux, passer pour de bons élèves.
Celles et ceux qui auront lu ce compte rendu jusque-là l’auront compris, Alain Naze formule une critique radicale à l’encontre d’un mouvement qui s’est éloigné de sa jeunesse révolutionnaire et qui, de toute évidence, aspire à se couler dans le moule de la société « telle qu’elle est ».
La normalisation est une évidence. Elle explique sans doute pourquoi, c’est une hypothèse que je formule, dans les cortèges des Pride, les moins de vingt ans sont ultra majoritaire, les homosexuel.le.s plus âgés ayant déserté le champ des manifestations, heureux d’avoir trouvé une place confortable dans la société. Et dorénavant centrés sur les questions liées à la PMA.
Pour Alain Naze, ce confort est en fait synonyme d’appauvrissement des relations. En se coulant dans la norme, les homosexuel.le.s perdent une part de liberté et d’inventivité associée à l’homosexualité de la Belle Époque, c'est-à-dire d’avant son intégration dans la société actuelle.
On regrettera que l’auteur se montre si avare de descriptions et d’analyses sur ce que serait justement cette homosexualité « dérivante » plus attrayante que l’homosexualité normalisée à la sauce gay et LGBT. Alain Naze n’en dit rien, ne propose aucune piste qui pourrait enthousiasmer le lecteur qui ne connaîtrait pas les conceptions des militants homosexuels « historiques ».
On reprochera également à ce livre de se focaliser sur les homosexuel.le.s, sans évoquer la grande richesse que constitue la « famille » LGBT+, dont la diversité et l’émergence de nouvelles identités pose des questions urgentes et nouvelles.
Le mouvement LGBT+ actuel, qui revendique une acceptation par la société de toutes les identités de genre et les pratiques amoureuses ou sexuelles, constitue un cri d’alarme, un rejet du carcan hétérosexuel et de son alliée l’homosexualité normalisée. Il faut sans doute différencier d’un côté les discours politiques institutionnels, qui voient sans doute dans le label LGBT comme dans la dénonciation du sexisme d’ailleurs, une façon de passer pour plus progressistes et humanistes qu’ils ne sont, et de l’autre les jeunes qui se revendiquent des couleurs LGBT+. Même si la jeunesse des Pride ne conçoit pas son combat comme révolutionnaire, le refus de s’identifier à la binarité et aux normes conjugales actuelles constituent un ébranlement indéniable du carcan qui étouffe hétéros, gays, lesbiennes, trans et plus généralement tous les LGBTQIA+.
G.

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