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Secrétaire de Jean Moulin puis marchand d’art, Daniel Cordier était aussi… homosexuel. C’est en rédigeant ses mémoires qu’il a entrepris de retracer l’histoire de sa vie amoureuse, qu’il a livré dans ce très beau récit autobiographique. Issu d’une famille bourgeoise catholique et conservatrice, maurassien et royaliste mais de parents divorcés, le jeune Daniel découvre ses premiers émois à la lecture passionnée des romans de Roger Martin du Gard, Le Thibault, mais également au contact de ses camarades de collèges, dans un établissement tenu par une congrégation catholique dans la région de Bordeaux.
Daniel Cordier y décrit un contexte extrêmement paradoxal. Alors que les éducations familiales et scolaires proscrivent toute allusion à la sexualité, les élèves n’ayant même pas de mot pour désigner le sexe, nombre de garçons s’adonnent aux caresses mutuelles, certains, bien que plus rarement comme le fait Daniel -, mêlant à ces premières aventures sexuels la force des sentiments. Mais dans cet univers conservateur et catholique, qui se récrie contre le Front populaire (l’adolescence de Daniel se déroule pendant les années 1930), le tabou du sexe et pire encore de l’homosexualité plonge l’adolescent dans les pires tourments. Écartelé entre son attirance pour David Cohen et sa fidélité à Dieu, Daniel voit sa conscience malmenée, au point de refuser une histoire d’amour au potentiel lumineux, et se faire volontairement renvoyer de l’établissement pour pouvoir échapper à son attirance homosexuelle pour ce garçon.
Daniel Cordier reste hanté toute sa vie par cette histoire gâchée, gâchée par sa timidité, gâchée par une éducation stérilisante, paralysante, propice aux pires déséquilibres psychiques, une éducation qui pousse la jeunesse à refouler ses émotions et à rejeter toute forme d’érotisme avant le mariage. Un immense gâchis, que Daniel ne parviendra jamais à réparer.
Même si, dans son récit, Daniel ne règle jamais ouvertement ses comptes avec la religion, il passera outre les préceptes rabâchés par les « bons pères », parvenant à « survivre » en tant qu’homosexuel, même si l’histoire d’amour de sa vie a été perdue à jamais. Superbe et poignante autobiographie, une quête personnelle impossible dans un carcan si puissant, celui de la morale, celui des rapports sexuels et amoureux non pas seulement entre hommes et femmes, mais plus globalement entre humains, un terrible carcan dont nous n’avons pas fini de nous débarrasser !

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