"Années folles", d'André Téchiné
Voilà un film émouvant, tiré d’une histoire vraie. A la fin de son service militaire, Paul Grappe est mobilisé comme la plupart des jeunes hommes de son époque. C'est la Grande Guerre qui éclate. Blessé par deux, fois, le jeune homme est accusé de s'être automutilé. Il déserte en 1915 avant d'être condamné à mort par contumace par un tribunal militaire.
Pour se dissimuler aux yeux des autorités, Paul se travestit, ce qui lui permet de continuer à vivre avec sa femme, Louise Landy. Au début des années 1920, Paul s'ouvre à des choix amoureux et sexuels nouveaux : le voilà se prostituant, échangiste et bisexuel. En 1925, suite au vote de la loi d'amnistie effaçant les condamnations des déserteurs, Paul Grappe n'abandonne pas sa nouvelle identité pour retrouver son ancienne vie de mâle. Il connaît alors une véritable notoriété, la presse s'emparant de son histoire (voir l'article ci-dessous). Déstabilisé, Paul sombre dans l'alcoolisme et la violence ; il sera finalement tué par sa femme en 1928, elle même acquittée l'année suivante.
Téchiné tente de restituer l’histoire de Paul Grappe et de sa femme avec une certaine fidélité. Le réalisateur propose deux narrations : celle de la vie de Paul vue dans le cadre d’un spectacle réalisé avec lui de son vivant, et celle de l’histoire qui s’est déroulée dans les années précédentes. C’est la relation entre Paul et sa femme Louise qui intéresse le réalisateur, tout autant que le rapport des deux à la question de la norme. Si Louise incite Paul à se travestir, le jeune homme oppose d’abord une résistance farouche. Puis prend goût à cette nouvelle identité, soutenu par sa femme même après la loi d’amnistie de 1925. Jusqu’à ce que la violence de Paul devienne par trop insupportable.
Si Paul semble très isolé en dehors de sa relation à sa femme et au monde interlope qu’il côtoie dans ses agapes sexuelles, Louise travaille dans un atelier de couture. L’entre-soi féminin est marqué par la solidarité, par certaines souffrances également. La couturière ne parle plus à ses amies de Paul, qui a déserté, mais de son amie Suzanne, prénom de clandestinité de son mari. La patronne, qui soupçonne Louise d’être devenue lesbienne, avoue à cette dernière qu’elle aussi a aimé une femme, sans jamais le lui avouer.
Par cette petite notation, Téchiné invite à réfléchir au sort de Paul non pas comme celui d’un destin étrange et spécifique, mais bien comme le reflet de tensions autour des questions de genre et d’identités sexuelles et amoureuses. Si on évoque souvent les « garçonnes » des Années folles, le travestissement masculin ou la transidenté restent peu associé.e.s à cette période.