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On connaît assez mal la revue française Arcadie, fondée en 1954 par André Baudry et qui a réuni des dizaines de milliers d’homosexuels en France jusque dans les années 1980, une revue et également une association éponyme, la plus importante numériquement de tout le mouvement LGBT+ français. Si Arcadie a peu de place dans les mémoires actuelles, c’est que son fondateur et dirigeant prônait une « homophilie » sage et bourgeoise, intégrationniste et ne rechignait pas à collaborer avec les autorités judiciaires, stigmatisant les sexualités ou les expressions de genre trop débridées. Un conformisme rejeté par les militants homosexuels de l’après 1968.
Baudry a lancé Arcadie après avoir été influencé par une autre revue et un autre groupe, suisses, Le Cercle / Der Kreis. C’est ce milieu zurichois qu’évoque ce docufiction fort intéressant, mêlant des images d’archives, des séquences d’interviews de deux anciens membres du Cercle (Ernst et Röbi) et des reconstitutions fictionnelles de leur vie passée. L’ensemble s’intéresse au Cercle et à la vie des homosexuel.le.s dans les années 1950 et 60 à Zurich. Si la Suisse des années 1950 apparaît comme bien plus libérale que l’Angleterre ou l’Allemagne concernant la législation envers les homosexuel.le.s, c’est sans compter une réprobation morale qui poussait alors la plupart des personnes concernées à vivre clandestinement leur orientation sexuelle. Zurich accueille néanmoins des lieux de sociabilité dédiés et le Cercle organise un bal annuel qui attire des centaines de gays venus d’Europe, voire des États-Unis. Le Cercle jouit d’une telle renommée qu’il inspire Arcadie en France, mais également d’autres revues et groupes en Europe et aux USA (Mattachine Society fondée en 1950 par exemple).
Le film montre les risques professionnels encourus par les homosexuels de l’époque, mais aussi une montée de l’homophobie sociale, policière et politique à la suite de meurtres commis par des prostitués. A chaque nouveau meurtre, la réprobation et la répression des homosexuels se fait plus vive.
Bien que le pays ne dispose pas à l’époque de loi réprimant l’homosexualité, comme le paragraphe 175 allemand, la revue, réalisée par les adhérents zurichois dans un local discret, est tout de même soumise aux fourches caudines de la censure… Quant à la police, elle fait la chasse aux homosexuels, prenant prétexte des enquêtes à propos de ces meurtres.
Le film ne dit pas que le Cercle a été fondé par des militantes lesbiennes en 1932, étant définitivement investi par les seuls hommes dans les années 1940, un même mouvement de masculinisation se retrouvant au début des années 1970 dans le processus de naissance du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire français.
Ce docufiction ne manque ni d’intérêt ni de charme, Ernst et Röbi qui partagent leurs souvenirs à l’écran – premier couple gay à avoir été marié en suisse – étant particulièrement touchants. Dans ce duo d’ex adhérant du Cercle – la revue a cessé de paraître à partir de 1967 -, l’un était enseignant, l’autre danseur et transformiste, tous deux étant liés l’un à l’autre par une extraordinaire complicité et une rage de vivre leur amour, malgré les pressions et l’homophobie ambiante.

G.

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