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J'apprends l'allemand est  un court roman, le tout premier écrit par Denis Lachaud. Il est paru  en 1998 aux éditions Actes Sud.

Dans les années soixante-dix à Paris, une famille allemande vit dans le refus de ses origines. Les Wommel ont trente-cinq ans, ils sont installés en France depuis près de dix ans. Leur fils Ernst va entrer en sixième et, contrairement à son frère aîné, il ne peut accepter le silence qui entoure leur histoire. Il décide d’apprendre l’allemand, la langue de ses parents, celle qu’ils ne parlent jamais.
Comme un passeport pour le passé, cet apprentissage devient très vite le moyen par lequel Ernst espère retrouver ses racines. A quatorze ans, il part en Allemagne avec sa classe et rencontre Rolf, son correspondant, avec qui il va découvrir son orientation sexuelle. Ce pays lui est enfin ouvert, il y retournera chaque année. Avec la complicité de son camarade allemand, Ernst persévère dans ses recherches et finit par retrouver son grand-père, qu’il croyait mort… 

En accompagnant le personnage d' Ernst Wommel au fil des années, de son enfance à sa vie de jeune adulte, nous l'accompagnons dans sa quête de réponses et d'identité.
Pour grandir, et retrouver le dialogue avec sa famille, Ernst va devoir démêler les fils de ses origines ( Allemand / Français / Américain ). Avec courage et détermination il va interroger les personnes de sa famille et finira par trouver la vérité parmi les mensonges et les non-dits.
La quête du passé allemand menée par le narrateur nous immerge dans l'horreur de la Shoah, de manière plutôt brève et subtile, et pose la question insoluble du degré de culpabilité de ceux qui en furent témoins, complices, activement ou par inertie.

En partant à la recherche de son histoire familiale, Ernst va à la découverte de sa propre identité, et notamment de son orientation sexuelle. La rencontre avec son correspondant allemand, Rolf, puis avec l'oncle de ce dernier, Peter, est déterminante dans la prise de conscience et l'acceptation de son homosexualité. C'est l'occasion pour Denis Lachaud de décrire de manière brève mais très concrète les premières expériences de deux adolescents. Il est intéressant de noter que dans les commentaires des  lecteurs que l'on peut lire, la description d'une sexualité vécue à deux dès 13 ans n'est pas sans poser problème...

C'est un livre très agréable à lire. Les chapitres sont courts et l'auteur n'hésite pas à faire de grands sauts dans le temps pour aller à l'essentiel. L’écriture de Denis Lachaud est rapide, précise et sensible. Il cherche la vérité des situations sans sensiblerie ni démonstrations excessives. J'ai trouvé que le ton était juste parce que non moralisateur. Comme un témoignage, qui questionne mais ne dogmatise pas. 

Le début du roman accorde une place importante aux problèmes de vue du petit enfant. Cela est très significatif : dès son plus jeune âge, Ernst a de graves problèmes à un œil. Cela nécessite des soins et une rééducation sollicitant l'accompagnement et la patience de l'entourage. A l'image de cette vision imparfaite, le passé familial d'Ernst lui reste en grande partie opaque . Autre élément stylistique employé par l'auteur pour exprimer le mal-être d'Ernst et son inconfort dans une famille asphyxiée par les non-dits, la narration qui bascule parfois de la première à la troisième personne, donnant l'impression d'une forme de schizophrénie chez le personnage central.

Enfin, je voudrais terminer en évoquant le titre du roman : J'apprends l'allemand. L'Allemagne et la langue allemande sont au cœur de ce parcours initiatique. Si Ernst finit par découvrir les secrets, le passé de sa famille , mais aussi  sa sexualité et accepter son orientation sexuelle, c'est grâce à l'Allemagne. C'est parce qu'il a fait le voyage, parce qu'il s'est approprié la langue maternelle de sa famille. C'est l'Allemagne qui le libère.

En conclusion, je souhaitais citer une phrase qui concerne le père d'Ernst :
« Mon père est un homme brisé, laminé, déformé par l’homme qui l’a élevé, mon père est sorti de l’enfance comme un bonsaï sort du magasin, réduit, contraint au minimum, à la survie dans le minimum d’espace, il a poussé comme il a pu. »
JM.

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