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Des amants est un  chant d'amour et d'humanité. A travers l'histoire poignante de Balthazar et Sébastien, il dénonce l'intolérance de la société, d'hier et d'aujourd'hui. 

1749. Sébastien Faure a quinze ans. Alors qu’il garde un troupeau de chèvres et de brebis, surgit un cheval au galop qui désarçonne son cavalier. C’est grâce à quelques plantes séchées qu’il parvient à réanimer Balthazar de Créon. Celui-ci lui promet qu’il est désormais à lui. Fidèle à sa promesse, il revient quelques mois plus tard et emmène Sébastien dans son château de Créon pour l’éduquer, faire de lui un médecin du roi, et surtout l’aimer. Balthazar et Sébastien vivent leur passion à l’écart de la société .
Cependant, la fureur du monde les rattrape. La cour, où Créon est invisible et vexe le roi, bruisse de terribles rumeurs ; on l’y accuse des pires forfaits et on prépare son procès. Balthazar finira sur un bûcher tandis que Sébastien devra fuir et cacher ses sentiments.
Une passion qui va isoler  deux hommes du reste du monde et les mener à leur chute n'est peut-être pas un thème très original mais j'ai trouvé que ce roman valait la peine d'être lu pour plusieurs raisons. Dans Des amants, Daniel Arsand dépeint habilement la folie d'une mère qui perd son fils et le désespoir d'un garçon qui réalise qu'il ne verra plus son compagnon. Je trouve également très intéressante l'évolution des deux amants qui nous montre que l'amour est un joyau autant qu'une torture. Ici, l'un des amants gagne la joie et l'autre la douleur. Balthazar aime Sébastien et se retire du monde. Sébastien au contraire s'émancipe : en même temps que le danger, il donne à affronter l'infidélité. Avant d'être celui qui, pour son amour exclusif, mourra dans les flammes, Balthazar est celui qui attend. Ainsi  souffre-t-il bien avant la prison et le bûcher.

Comme pour chacun de ses romans, c'est le style de Daniel Arsand qui rend également l'œuvre très originale. Fidèle à son habitude, l'auteur manie une langue poétique qui suggère, avec une grande économie de mots, plus qu'elle ne dit réellement. Chaque mot est choisi soigneusement, pesé, et cela crée une atmosphère qui n'est pas sans rappeler le conte. Malgré le contexte historique, la plume est moderne et  incisive. Le roman est très court et narre ce drame en cent chapitres qui sont presque comme cent tableaux. Et tout cela semble si vrai que l'on ne sait à la fin s'il s'agit d'un roman historique relatant des faits réels ou d'une fiction imaginée par l'auteur.
Car pour moi, ce qui fait la force de ce roman, c'est le contexte historique. L'histoire commence en 1749 et Balthazar sera brûlé en place de Grève. Nous sommes dans la fiction, mais une fiction qui nous plonge dans la réalité historique en nous situant la même année durant laquelle a eu lieu la toute dernière exécution en France de deux homosexuels : Jean Diot et Bruno Lenoir.
Une fois n'est pas coutume, je vais donc faire une parenthèse historique dans ce compte-rendu. Dans la nuit du 4 au 5  janvier 1750, entre les rues Saint-Sauveur et Beaurepaire, deux hommes sont arrêtés par le « guet royal » (institution ancienne qui coexistait avec la police), « en posture indécente et d’une manière répréhensible », comme il sera précisé dans le procès-verbal. Bruno Lenoir, 21 ans, est cordonnier. Jean Diot, quarante ans, est domestique dans une charcuterie du quartier. Deux hommes du peuple, homosexuels, au 18e siècle, cela fait deux bonnes raisons de s’acharner…
Sous l’Ancien Régime, la clandestinité est presque obligatoire pour les non-puissants alors que les nobles et royaux ne s’en cachent guère. Les homosexuels, véritables ou réputés tels, sont fichés lorsqu’ils sont repérés. Depuis le début des années 1720, beaucoup sont ferrés par des "mouches", des "faux homosexuels" à la solde de la police sur les lieux de rencontres, puis arrêtés, fichés et enfin convoqués à nouveau afin d'obtenir d'eux des dénonciations de leurs pairs. Certains d'entre eux, catalogués "infâmes d'habitude", sont enfermés à la prison de Bicêtre.
Depuis le 12e siècle et le Concile de Naplouse, on promet en France le bûcher aux auteurs d’actes sodomites . Entre le 14e et le 18e siècle, le philosophe Claude Courouve a dénombré 71 procès ayant pour chef d'inculpation l'homosexualité et ayant mené à des exécutions (dont les Templiers, Gilles de Rais, et de nombreux anonymes).
Malgré les apparences, la répression de l’homosexualité dans la France de Louis XV est en fait bien moins sévère qu’elle ne l’a été. En général, dans le cas d’une première arrestation pour homosexualité, les délinquants passent quelques heures, voire quelques jours, en prison. L’affaire se solde habituellement par une remontrance, une « mercuriale ». La récidive rallonge parfois le séjour derrière les barreaux, mais on ne craint guère plus.
Le procès de Jean Diot et de Bruno Lenoir est expédié. Maurice Lever rappelle dans Les Bûchers de Sodome (Fayard, 1985) que, homosexuel puissant ou misérable, on n’est pas traité de la même façon. Ce sont un artisan et un domestique qui servent d’« exemple », pas des fils de bonnes familles à qui on évite une honte publique.
Pourquoi un tel acharnement sur ces deux là, alors que les dernières exécutions remontent à plus de 25 ans ? Le dernier cas, en 1725, concernait le dénommé Deschauffours, qui se livrait au trafic de jeunes garçons auprès de riches particuliers. Une flambée d’homophobie accompagna l’affaire, ravivant l’amalgame séculaire entre ce que l’on distingue aujourd’hui clairement entre homosexualité et pédophilie.
 En 1750, le bûcher est une nouvelle et dernière fois dressé pour Jean et Bruno et leur cas de « crime de sodomie ». Le 18 octobre 2014, devant le 67 rue Montorgueil, à l'angle de la rue Bachaumont, une plaque  apposée sur le trottoir  est inaugurée au nom du devoir de mémoire. Les deux hommes sont érigés en martyrs. 
Courant 2018 , l'endroit est vandalisé : en mai, une gerbe commémorative est brûlée ; en juillet, la plaque est maculée de peinture noire et recouverte de tracts hostiles à l'homoparentalité. 
Le 17 mai 2021, à l'occasion de la journée mondiale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie, une plaque comportant un texte identique à celle posée en 2014 est dévoilée 1 rue Léopold-Bellan.
 

JM.

DES AMANTS, de Daniel Arsand (2008, Editions Stock) ou la dernière exécution d'homosexuels en France
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