"Un coup d'un soir", suivi de "Dans le lit de Marin", un double roman sur le désir, de Mathieu Bermann (2019, P.O.L)
Le narrateur est un bruxellois de 32 ans qui « suit » Marin, normand de 20 ans vivant désormais à Rennes, sur le réseau social Instagram. Attiré par la beauté que laissent entrevoir quelques clichés choisis, le narrateur entame, puis entretient, une conversation aux multiples distances - numérique, géographique, générationnelle, intellectuelle, matérielle, conjugale... Ce jeu de séduction s'articule autour de deux images inversées : le narrateur est en couple, entend le rester, mais veut Marin ; celui-ci, célibataire, veut être en couple, il s'attache davantage à l'homme qu'à leur liaison éphémère. Finalement, ils vont se retrouver à Rennes où ils passent la nuit ensemble …
L'histoire pourrait s'achever là et ce roman serait somme toute assez banal. C'est alors que Mathieu Bermann surprend, s'engageant dans une mise en abyme captivante : le narrateur est romancier, Marin devient son personnage et leur histoire un roman, « Un coup d'un soir ». Ce roman devient à son tour le sujet d'un second, « Dans le lit de Marin ». Le narrateur, si réfléchi, serein et stable dans le premier roman devient auteur tourmenté, exigeant, égocentrique et abusif dans le second. Il vivait une histoire avec Marin dans le premier, il est le concepteur de son histoire avec « son Marin » (les deux transfigurés par l'écriture romanesque) dans le second, dont le thème central est la violence du désir non partagé.
J'ai découvert Mathieu Bermann avec ce double roman qui m'a d'abord dérouté avant de me fasciner.
Il y a d'abord les thèmes abordés. Dans « Un coup d'un soir », il y a la naissance du désir longue distance via les réseaux sociaux, les jeux de drague sur Instagram, de miroirs, de désirs. Marivaudage contemporain. « Dans le lit de Marin » aborde la frustration et le désir inassouvi, l'obsession dévorante et surtout, la notion de consentement qui s’immisce au fil des pages.
Mais ce qui pour moi fait toute la force et l'originalité de cette œuvre, c'est le concept du double roman, qui offre une mise en abyme vertigineuse et une construction en miroir, brouillant les pistes entre ce qui semble réel et ce qui est fiction : alors qu’un premier roman se clôt sur la mort de l’envie, un second s’ouvre pour dire la frustration et la vanité de l’ardeur. Les mots qui servaient à dire les badinages de la séduction, à explorer la fluctuation du désir se transforment en une parole inquiétante, coupable et nous interrogeant sur la question du consentement dans une relation. Mathieu Bermann pousse alors son récit dans les zones floues et ambiguës des relations. A quel moment l’amour vire-t-il à l’abus ? La passion est-elle une excuse ? Soudain surgissent, plus clairement, les déséquilibres de cette union vacillante : la domination sociale du romancier publié sur l’étudiant fauché, son ascendant culturel, son art de la manipulation.
Ce roman est écrit à une première personne troublante qui nous interpelle, nous, lecteurs, qui devenons témoins, juges et peut-être parties de cette réflexion sur le couple, la sexualité, la communication numérique et, finalement, le croisement des attentes, des désirs et du consentement.
JM