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Prélude à son absence, c'est la rencontre entre deux hommes, deux marginaux, qui ne donnera pas lieu à une histoire d'amour mais plutôt à une histoire impossible, un désespoir amoureux.

Le narrateur, Robin, trente ans, travaille dans une bibliothèque. Lorsqu’il aperçoit Sven, il est subjugué. Ce jeune homme qui fait la manche assis par terre, le visage livide et émacié, lui fait penser à un jeune Glenn Gould fatigué. Ou à un animal sauvage. Le lendemain, Sven n’est plus là, laissant le narrateur mélancolique. Il réapparaîtra, disparaîtra de nouveau, acceptera l’hospitalité, pour fuir encore… Dans ce jeu de la séduction, c’est Sven qui mène la danse. Lorsqu’ils partent enfin ensemble à Groix, cela semble inespéré. L’île sera-t-elle le lieu du rapprochement des corps ?

Dans ce court roman, nous suivons les affres du désir, voire de l'obsession du narrateur, qui oscille sans cesse entre attente, espoir et désillusion, dégoût. Finalement, cette passion jamais assouvie finira par laisser place à un ennui désabusé. D'ailleurs, dès la rencontre, Robin n'est pas dupe et n’envisage qu’une issue forcément fatale voire dramatique.

Voici ce qu'explique Robin Josserand lorsqu'on l'interroge sur le genèse de son livre :
« Je voulais écrire un roman sur deux hommes qui ne peuvent pas s’aimer et qui s’ennuient. Mais ce sont des marginaux un peu pathétiques, pas dans le sens lumineux, flamboyant du terme… »
En effet, chacun des deux personnages vit en solitaire, en marge de la société. Robin, le bibliothécaire, est victime de la monotonie et de la désidentification du travail dans notre société, professionnellement et socialement désabusé . Quant à Sven, sa précarité l'oblige à vivre dans la rue. Un autre point commun est la perte d'identité. Le personnage de Sven, c'est la perte de l'identité bourgeoise, celui de Robin, la perte de l'identité juvénile. Le narrateur, fasciné par les jeunes garçons, se décrit comme vieillissant, décrépi, alors qu'il n'a que la trentaine ! Le jeunisme est un thème important du livre, et dans une interview, l'auteur cite une phrase du peintre Francis Bacon : « Comme je suis homosexuel, c’est beaucoup plus difficile pour un homosexuel d’être vieux, parce que l’homosexualité ça flotte sur la beauté. »
L'autre point fort du roman est le lien très étroit entre la relation amoureuse et la création littéraire. Car le narrateur, bibliothécaire, est aussi un aspirant écrivain, qui connaît les vicissitudes de la création littéraire, de la page blanche, de la recherche du mot juste, de la peur de sombrer dans le cliché (notamment en ce qui concerne les “passages obligés” de la littérature homosexuelle). Et ses tentatives d'écriture consistent à mettre en mots son histoire avec Sven. Voici la toute première phrase du roman : 
« Si je devais réfléchir à ce pour quoi j'ai commencé à écrire, je dirais que la littérature, pour moi, consiste à décrire de beaux jeunes hommes. »
La dimension littéraire est amplifiée par les références tout au long du roman, la plus présente étant celle à Jean Genet, mais on retrouve également les noms d'Emil Cioran et d'Edmund White. Les œuvres littéraires ne sont pas les seules à avoir une place importante, les œuvres musicales jouent un rôle primordiale. Glenn Gould, à qui ressemble Sven, est cité à de nombreuses reprises à tel point qu'on peut avoir l'impression de l'entendre au piano en lisant le roman ! Quant au titre lui-même, il n'est pas sans évoquer un prélude de Bach …
Je terminerai en évoquant le style de l'auteur. Robin Josserand a une prédilection pour les phrases brèves et percutantes. Il se montre à la fois poétique et très cru (le narrateur chassant sa frustration par de nombreuses séances de masturbation), dans un clair-obscur permanent. La deuxième partie se passe au bord de la mer. Le littoral convient très bien pour exprimer le ressac de cette histoire d'amour et de désir non partagés.
En prolongement de Prélude à son absence, je suggérerais la lecture de Fou de Vincent , d'Hervé Guibert ou encore  Ce qui t'appartient  de Garth Greenwell.

JM

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