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La 1ère métamorphose révolutionnaire c’est la poésie, la possibilité de changer le nom de toutes les choses. La 2ème, la plus profonde de toutes les métamorphoses, c’est l’amour

A l’occasion du Festival International du Film d’Amiens (FIFAM 2023), le cinéma Saint Leu, en partenariat avec l’association Divergenre, a proposé en avant-première le dernier manifeste de Paul B. Preciado : Orlando, ma biographie politique.
Pas de roman ou d’essai copieux cette fois-ci (son dernier ouvrage – Dysphoria Mundi – compte pas moins de 590 pages) mais un film, librement inspiré du roman de Virginia Woolf : Orlando, une biographie.

Ce film trouve son origine dans une demande faite à Preciado : « pourquoi n’écris-tu pas ta biographie ? ». Selon ses propres dire, cela ne lui a pas semblé être une bonne idée et il a répondu : « parce que fucking Virginia Woolf l’a écrite à ma place en 1928 ! ». Il a alors l’idée de proposer une adaptation filmique (très) librement inspirée du roman, et intitulée Orlando, ma biographie politique. 

Ce sont les mots « ma » et « politique » qui sont ici à noter et donnent le sens de sa démarche. Il s’agit pour lui de « raconter non pas ma vie personnelle mais ma vie politique, c’est-à-dire comment je suis arrivé à être la personne que je suis. Et ce n’est pas du fait de mon courage et de mes forces personnelles mais grâce aux luttes de personnes inconnues qui étaient là avant moi ». Et c’est donc « en tant que philosophe et activiste (qu’il) s’est donné la tâche de faire ce film ».

Pour bien comprendre, il faut repartir du thème du roman de Virginia Woolf.
Dans son ouvrage, elle retrace la vie (biographie) d’un jeune noble anglais du 17ème siècle, qui va traverser les siècles en demeurant jeune mais en changeant de sexe. Cette histoire fantasque, parodique et pleine d’inventivité, est l’occasion pour Virginia Woolf de critiquer avec beaucoup d’humour la société anglaise de son époque. Le livre, révolutionnaire dans sa thématique (Virginia Woolf, en avance sur son temps, disait : « dans tout être humain a lieu une sorte de vacillation d’un sexe à l’autre”) mais léger dans sa forme, connaîtra un grand succès lors de sa publication en 1928.
Paul B. Preciado connaît bien ses classiques et, à partir de cet ouvrage, il imagine, par son film, lui témoigner de la prescience qui fut la sienne et de la postérité de son héros. Le monde contemporain est devenu « orlandesque ».

La réalisation du film a commencé par un casting pour trouver les Orlando d’aujourd’hui : une centaine de personnes de tout âge (de 8 à 78 ans) se sont présentées et le film prend la forme d’une lettre que tous ces Orlando lisent à Virginia Woolf pour lui dire : « malheureusement tu es partie mais ton Orlando auquel tu as fait traversé les siècles est toujours – et plus que jamais – vivant. »
Paul B. Preciado a demandé à chaque acteurice de lire un extrait du roman qui illustre le « trouble dans le genre », de telle sorte qu’iels se réapproprient la langue de Virginia Woolf pour raconter l’histoire d’Orlando comme si c’était la leur.

Il s’agit d’abord d’un film joyeux et militant :
Joyeux, car il échappe, enfin, aux représentations misérabilistes ou tragiques du cinéma « mainstream », hétéro-normatif. On rit franchement dans certaines scènes, par exemple la mémorable consultation chez le psychiatre (interprété par Frédéric Pierrot, le psy de « En thérapie ») pour obtenir les précieuses hormones, qui finit sur une chanson très comédie musicale, intitulée « pharmaco-libération » reprise en cœur dans la salle d’attente par toustes les patient.e.s
Militant, car, pour Paul B. Preciado, il est essentiel de ne pas filmer le processus d’oppression mais le processus d’émancipation. Filmer en effet les personnes trans dans le processus d’oppression conforte le regard dominant dans l’idée que ce sont des personnes étranges et qui vont mal : « Ce sont des personnes avec des problèmes, certes, or les problèmes, ce ne sont pas les personnes trans mais tout un système social et politique extrêmement normatif et binaire qui les crée. »
Les personnes filmées apparaissent donc d’abord comme sujets politiques de leurs propres récits et non comme objets d’oppression.
Film que l’auteur revendique aussi comme enfantin, avec toute l’énergie et la légèreté de cet âge. Pour lui, les enfants naissent non binaires et c’est la société qui leur vole cette « innocence » en leur assignant un sexe à la naissance. Il choisit de conclure le film avec trois très jeunes Orlando qui représentent le futur et une société nouvelle en train d’émerger.

Le film, en pleine cohérence avec son sujet, est d’une forme hybride : lettre filmée, documentaire, témoignages de personnes trans et non binaires, toutes ces descriptions sont à la fois justes et incomplètes, Orlando ne rentre pas dans les cases !

Certains diront peut-être que le film n’est pas construit, suite de scénettes auxquelles il manquerait le « liant » d’un scénario écrit et léché, d’un discours logique, mais justement, la forme même de cet Objet Filmique Non Identifié fait pleinement justice à la notion de trans-identité et de déconstruction qui la sous-tend : « La vie n’est pas une biographie, comme des étapes successives, mais elle consiste en une métamorphose de soi, se laisser transformer par le temps, devenir non pas seulement un autre mais d’autres ».

Ainsi, Orlando, ma biographie politique est un film drôle, foisonnant, inventif, avec des maquillages, des déguisements, des décors de théâtre volontairement de pacotille (un peu à la façon de Wes Anderson) créant une atmosphère de jeu et témoignant ainsi positivement de l’infini des possibilités d’exister.

Sortie en salle le 29 novembre 2023
Sur Arte le mercredi 6 décembre à 22h55

C.

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