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Dans une prose dépouillée à l’extrême, Angelo Tijssens évoque le chemin difficile d’un homosexuel à la recherche d’une étincelle d’amour.
La trame de ce roman est relativement simple. À la mort de sa mère, un jeune homme retourne sur les lieux de son enfance, à la recherche de son amour de jeunesse. Dès les premières pages, on comprend que l’amour n’a jamais été très présent dans sa vie. Quand il revient dans sa ville natale pour retrouver le seul homme qu'il a peut-être aimé, ce n’est pas avec le cœur léger mais bien rempli de ressentiments douloureux. Ce retour au village fait remonter des souvenirs et on assiste à ses réminiscences. Enfant battu et violenté par une mère alcoolique, il a grandi dans la crainte de colères maternelles et ne trouvait refuge et réconfort que chez son ami de toujours. Au fur et à mesure qu’ils grandissent, les deux garçons commencent à nourrir des sentiments l’un envers l’autre et s’aiment alors en secret. Une proposition de déménagement vient chambouler cet amour naissant et ce n’est que des années après que les deux hommes se retrouvent.

La construction du roman alterne les moments présents à ceux du passé, avec leurs propres thématiques.
Le passé évoque l' enfance difficile du narrateur avec une mère alcoolique et tyrannique et la découverte progressive de son homosexualité. À l’école, ses camarades de classe le voient comme un cas social. Sa première rencontre avec son orientation sexuelle se fait par ceux que sa mère nomme «les frères», et qu’elle prend en grippe et insulte lorsqu’elle comprend qu’ils forment en fait un couple homosexuel. Le narrateur se met en tête qu’il s’agit de quelque chose de sale, de mauvais… Ses premières expériences sexuelles ne sont guère plus réjouissantes que les humiliations que sa mère lui fait subir. Dans les cabines d’une piscine, un enfant de son âge lui fait découvrir la masturbation et la fellation, avec un homme plus âgé qu’il appelle «le bide»... Une fois, une seule, avec un garçon dont le nom n’est jamais cité, il a eu l’impression de vivre quelque chose qui ressemblerait vaguement à de l’amour , mais un déménagement vient mettre fin brutalement à cette histoire naissante.
Le présent est le temps des retrouvailles et de leurs complexités ; des années plus tard, le narrateur se rend, sous une pluie battante, chez son amour d’enfance, à la recherche d’un peu d’affection, d’une once de chaleur, d’une lueur d’amour. Ou peut-être à la recherche de ce qu’il a laissé derrière lui. Après les premières observations, les deux hommes se détendent. Lentement, le narrateur se dévoile, évoquant des épisodes de sa vie qu’il n’avait jamais abordés auparavant, parce que «ne pas parler de mes cicatrices est devenu une seconde nature». Ces cicatrices, il  laisse l'autre les toucher, les embrasser et il s’abandonne.
Puis, les souvenirs assombrissent les retrouvailles. Le narrateur a connu d’innombrables hommes, alors que pour l’autre, leur relation a été la seule. Une gêne, une incapacité à communiquer, à exprimer ce qu’ils ressentent l’un pour l’autre, affleurent au fil des pages. Que savaient-ils alors? Que savent-ils maintenant? À quel point ont-ils changé? Dans quelle mesure sont-ils restés les mêmes? Comment le chemin respectif de ces hommes les a-t-il emmenés là où ils sont aujourd’hui? Et nous, lecteurs, nous restons suspendus à cette rencontre qui pourrait ou non réactiver le sentiment amoureux.
Le roman touche par sa justesse et ne bascule pas dans les clichés.  L’écriture est simple et va à l’essentiel. La prose est dépouillée à l’extrême, pas d’interprétation, pas de contexte. Tijssens ne mentionne aucun nom, aucune ville, aucune heure; tout le superflu est élagué, il ne reste que l’indispensable. Nous ne savons rien des apparences physiques des protagonistes, si ce n’est que le narrateur a un jour rasé ses longs cheveux blonds pour ne plus être appelé «mademoiselle»...
Autre particularité de l'écriture, le personnage principal et narrateur parle parfois de lui à la première personne, parfois à la seconde personne comme s’il discutait avec lui-même, ce qui lui permet peut-être de mieux s’analyser. Entre le « je» et le « tu » se dessine le portrait d’un jeune homme cassé en quête de reconstruction et de sens.

Ce roman très court, à peine un peu plus d'une centaine de pages, se lit avec rapidité et intensité. L'auteur va droit à l'essentiel et à l'émotion. Pas de description, mais une ambiance, celle de la côte belge, hors saison, sous la pluie. Il y a un côté cinématographique, ce qui n'est pas surprenant quand on sait qu'Angelo Tijssens est le coscénariste des films Girl et Close réalisés par  Lukas Dhont. On retrouve dans Au bord, toute la sensibilité ressentie dans ces films et aussi l’importance de montrer les faits tels qu’ils sont sans faux semblants.
JM

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