Les ailes collées, de Sophie de Baere (JC Lattès, 2022)
Le roman est un mélodrame classique, qui nous fait vivre deux temps forts dans la vie de son personnage principal, Paul.
La construction est simple, un prologue, une première partie qui se passe en 1983, la seconde commençant en 2003.
Le prologue : nous faisons connaissance avec Ana et Paul, en 2003, lors de leur mariage. Le mariage, étape où questions et doutes jaillissent. Ana, croyant faire plaisir à Paul, invite ses amis d’enfance, dont Joseph. Ce qui provoquera un tsunami émotionnel pour Paul, en le replongeant dans son passé, ses souvenirs.
Avec la première partie, nous nous retrouvons en juillet 1983. Paul a quatorze ans et toute la vie devant lui. Ce début d’été, plein de torpeur, va bouleverser son existence. Mais cela, Paul l’ignore encore. Il vit avec sa mère, Blanche, femme au foyer, Charles, son père, dentiste, et sa sœur de huit ans, Cécile. Lors de cet été , Blanche va perdre pied, cherchant à oublier dans l'alcool les infidélités de Charles. Paul va rencontrer Joseph, quinze ans, qui vit dans un mobil-home avec sa mère. Paul, qui souffre de bégaiement, n’a jamais vraiment eu d’amis. Cela sera différent avec Joseph, les deux garçons deviendront vite inséparables. Mais la mise au grand jour de cet amour naissant va provoquer le rejet, la haine et la violence et aboutira au drame et à la séparation de Paul et de Joseph.
Après une immersion dans le passé, nous voilà de retour, avec la deuxième partie, dans le présent, une fois le mariage terminé. Et l’histoire prend une autre tournure, imprimant un rythme nouveau et une nouvelle frénésie de savoir. Paul se rendra compte que, malgré les apparences et les efforts fournis, les doutes sont toujours présents, enfouis en lui, et ne demandent qu’à resurgir. Je n'irai pas plus loin dans la suite du récit, pour ne pas spoiler la fin de l'intrigue.
Comme je l'indiquais au tout début, il s'agit d'un mélodrame qui cherche à provoquer l'émotion, et je dois bien l'avouer, l'émotion a bien été présente tout au long de la lecture.
Mais au delà de cet aspect mélodramatique, le roman explore la complexité des liens familiaux et amoureux.
L'opposition entre les familles des personnages est intéressante. Nous avons d'un côté la famille de Joseph, un peu en marge : couple séparé, mère vivant dans un mobil-home et souffrant d'addictions … En face, la famille de Paul, correspondant aux normes de réussite de la société, la petite famille bourgeoise parfaite. Mais derrière cette perfection de façade se cachent bien des failles et des souffrances.
Paul manque cruellement d'affection au sein de cette famille si parfaite, incapable de communiquer, entre l'alcoolisme de sa mère et l'absence de son père. Mais il y a plus, la douleur pour Paul de lire dans les yeux de son père la déception d'avoir engendré ce garçon chétif et bègue, qui ne correspond à l'hétéronormativité si chère à cette famille. L'autrice aborde ici le problème de la conformité de genre. Tout comme elle aborde l'homophobie qui va provoquer un déferlement de violence à l'encontre de Paul.
Dans la deuxième partie, nous retrouvons un personnage devenu adulte, époux, puis bientôt père, mais qui va retrouver son premier amour et qui va devoir gérer toute la complexité de de ses désirs et de ses sentiments. Il est également très intéressant de voir comment les membres de la famille de Paul ont évolué en vingt ans et comment le retour de Joseph dans la vie de Paul va servir de catalyseur pour forcer la communication, si compliquée pour tous.
Le roman est agréable et facile à lire. Les chapitres sont courts. Sophie de Baere exprime très bien le contraste des sentiments, d’un côté la légèreté et le bonheur, de l’autre la clandestinité, le rejet et le déni.
Mais pour moi, ce qui fait le point fort de ce livre, ce qui m'a donné l'envie d'en parler ici, c'est la dénonciation du harcèlement scolaire. Dans la première partie, la description du harcèlement subi par Paul est très précise, parfois à la limite du supportable. L'autrice questionne également l'action menée contre le harcèlement. Et même si l'action se situe dans les années 80, ce questionnement demeure cruellement d'actualité.
Et pour terminer cet article, je citerai les dernières phrases avec lesquelles Sophie de Baere a voulu conclure son roman :
« En France, quelque 700 000 élèves sont victimes de harcèlement scolaire, dont la moitié de manière sévère. Et encore aujourd'hui, plus de trente-cinq ans après l'histoire de Paul et de Joseph, ce harcèlement se manifeste envers les personnes LGBT. »
JM