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Ce film est disponible sur la plateforme My Canal et en DVD (Epicentre Films Editions).
Il retrace l'amour secret entre deux hommes âgés dans une société où l'homosexualité est marginalisée.
Ce film mérite le détour pour plusieurs raisons. La première est le thème abordé : tandis qu’un grand nombre de longs-métrages constituent une ode à la la beauté et à la jeunesse, Ray Yeung prend le parti de mettre en scène des hommes ordinaires d’âge mur ; un chauffeur de taxi marié de 70 ans et un homme divorcé et retraité de 65 ans se rencontrent et tombent amoureux.  Pak et Hoi sont deux homosexuels âgés qui luttent toujours avec leur identité et leur quête du bonheur. Bien que tardive, cette tentative de fuite à demi assumée des injonctions quotidiennes, sociales et familiales, tend à rendre à ces hommes, par cette incursion dans le bonheur, leur dignité, qu’elle soit individuelle dans l’acceptation de soi ou collective par la camaraderie voire l’amour. D’un regard bienveillant et avisé, le réalisateur brosse  les dynamiques sociales qui les impactent et comment ils y répondent,  trouvent de l’espace pour s'épanouir dans les plaisirs simples, la générosité gratuite, l’art culinaire et l’amour charnel, mais devant constamment trouver un équilibre entre vivre authentiquement et vivre en répondant aux normes. L'équilibre est une notion centrale du film, comme en témoigne le va-et-vient constant entre les scènes intimes et les scènes familiales.
Outre la dimension familiale, la dimension sociale est très présente, donnant au film parfois un aspect documentaire. Loin des clichés sur Hong Kong, ville ultra moderne et internationale, le film dépeint particulièrement bien la vie quotidienne  de gens ordinaires, presque invisibles. Tous les lieux sont représentatifs de la classe ouvrière dont font partie les personnages principaux. A travers le personnage de Pak, le réalisateur nous donne à voir tout le poids de l'hétéronormativité que symbolise la famille traditionnelle. Quant à Hoi, qui se présente comme un chrétien fidèle dans la même communauté que son fils, il incarne la pression imposée par la religion. Tous deux ont passé leur vie respective à jouer le rôle de maris, puis de pères, menant des existences sacrifiées aux traditions et au sens du devoir, et, par conséquent, condamnées au sceau du secret.
Le film traite également du mouvement de défense des droits des seniors homosexuels, confrontés, une fois arrivée la solitude du troisième âge, à la dépendance, aux fins de mois difficiles et à l’ostracisme.
Des amis des personnages principaux, condamnés jusqu’alors à se dissimuler, s’engagent ainsi pour la création d’une maison de retraite LGBT, lors de débats parlementaires mis en scène sans manichéisme car, si cette initiative permettrait à ses potentiels résidents d’éviter d’être confrontés au rejet, certains d’entre eux craignent qu’elle n’achève, en les isolant de leur famille, de les exclure du reste de la société... 
L'intérêt de ce long-métrage réside aussi dans sa tonalité. C'est un film d'atmosphère et de sensations. Mis en scène sobrement  et très juste sur le plan de l'interprétation, il ne cherche pas à dramatiser des relations clandestines, préférant adopter un ton doux-amer et mélancolique, dressant par ailleurs des tableaux familiaux qui ne manquent pas d'un certain humour ou peut-être encore davantage d'une ironie lucide. Les changements émotionnels sont subtils et l’atmosphère paisible. Le jeu des acteurs, tout en retenue, en regards et en gestes délicats, retranscrit la pudeur des personnages, dont les non-dits n’empêchent pas la sincérité des sentiments et la tendresse des étreintes. Tout est en discrétion pour ne pas bouleverser les traditions de leur communauté. 
Un printemps à Hong Kong est donc une chronique qui met en valeur les existences ordinaires des deux protagonistes tout en dénonçant la discrimination, qu’elle soit fondée sur l’âge ou la sexualité.
J'avais envie de terminer par un petit point sur l'homosexualité à Hong Kong. On voit dans le film que si elle reste marginalisée, elle n'est plus criminalisée. Il est intéressant de savoir que c'est le jeudi 30 mai 2019, année de réalisation du film, que plusieurs lois datant de l’époque coloniale (l’ancienne colonie britannique est retournée dans le giron chinois le 1er juillet 1997) criminalisant l’homosexualité ont été abolies  par la justice de Hong Kong. Elles ont été jugées anticonstitutionnelles car discriminatoires. La plus haute juridiction hongkongaise s'est prononcée le mardi 5 septembre 2023 en faveur des unions civiles de personnes de même sexe, mais ne leur a pas accordé le droit de se marier.

JM

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C
Merci pour ce compte-rendu très sensible et en même temps complet. Il me donne vraiment envie de voir ce film qui aborde un sujet pour ainsi dire tabou dans nos sociétés occidentales : la persistance au-delà de la "jeunesse" du désir dans toutes ses facettes, celui d'aimer, le désir sexuel, le désir de vie tout simplement. Egalement un vrai sujet en terme d'intersectionnalité des luttes : les communautés LGBTQIA+ ne sont pas épargnées par l'âgisme malheureusement...
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