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Le Naufragé, publié en 1924, prolonge le roman intitulé L’Ersatz d’amour, déjà chroniqué par nos soins. L’Ersatz campe une relation entre un artiste hétéro français et un jeune officier allemand d’origine aristocratique, tous deux s’étant rencontrés à Hambourg. Le cadre se situe en 1913 et 1914, jusqu’à ce que la guerre éclate, le conflit séparant les deux hommes. A jamais. 
Dans Le Naufragé, l’Allemand Carl  a déserté et s’est réfugié en Suisse, pour ne pas avoir à se battre contre la patrie de son amoureux. Il se désespère de pouvoir un jour retourner en France, sur les traces du peintre tant aimé. Mais la guerre d’abord, puis les tensions de l’après-guerre avec les discussions menant au traité de Versailles, interdisent à Carl toute perspective de regagner Paris. Le voilà ayant rompu avec sa famille et sa classe sociale, errant au gré des soubresauts de l’histoire, dans une Allemagne bouleversée par la crise économique et la révolution, dans les rues de Munich notamment, que se disputent spartakistes et corps francs. 
C’est dans ce contexte étonnant que Carl qui n’a eu de cesse de cacher ses véritables identités (nom, orientation), tente de survivre, comptant sur quelques amitiés anciennes. Et au-delà de cette situation historique, c’est une autre réalité que dépeignent Willy et Ménalkas (Suzanne de Callias) dans ces pages : celle d’une « internationale » homosexuelle constituée de réseaux d’entraide structurés autour de revues périodiques dédiées. Certes, le roman qui fait régulièrement référence à des personnages ou des publications ayant existé, prend certaines libertés avec la réalité historique. Néanmoins, ces réseaux fragiles et eux-mêmes déstabilisés par les bouleversements qui agitaient alors l’Europe, se sont bel et bien tissés depuis la fin du 19e siècle entre capitales européennes. Ils sont une belle découverte pour toute personne qui parcourt les pages de ce roman.
A une époque qui rejette frontalement l’amour entre hommes, hormis dans quelques quartiers de quelques grandes villes ou dans quelques sphères de la société, les revues dont la première a été fondée par Adolf Brand en Allemagne en 1896 (Der Eigene), publient des articles de réflexion, des informations en tous genre pouvant intéresser les homosexuel.les, mais également des petites annonces qui permettent à tout un réseau de se structurer, notamment lors de rencontres régulières.
Carl navigue à vue, se retrouve même à Prague, accompagnant les conférences ou les spectacles de ces homosexuels contraints à la semi clandestinité et qui, pour certains, optent pour un mariage hétérosexuel, afin d’échapper à la pression et au risque d’emprisonnement, au titre du tristement fameux paragraphe 175 du code pénal allemand.
Si dans L’Ersatz le français était présenté comme un hétérosexuel séduit par l’homosexuel Allemand, Le Naufragé, plus subtil, dépeint une passion amoureuse que ni la séparation ni l’Histoire et l’exil ne peuvent entamer, donnant à la relation une dimension romantique et grandiose généralement déniée aux amours hors norme. 

G.

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