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4% en théorie... est un essai paru aux éditions Goutte d'Or le 20 octobre 2023. Son auteur, Mathias Chaillot, est un journaliste indépendant et photographe de 38 ans, spécialisé dans le gonzo, journalisme littéraire et intime. Pour son premier livre, il a mené une enquête sur les théories concernant l'origine de l'orientation sexuelle.

Tout d'abord, pourquoi ce titre ? 4 %, désigne la proportion d’hommes homosexuels dans le monde, c’est-à-dire d’hommes qui se définissent comme homosexuels tout au long de leur vie, apprend-on dans le livre. Enfin, « en théorie » car, comme le suggère le titre de l’enquête, ce chiffre est très certainement sous-estimé : il ne prend pas en compte ceux ayant eu au moins une expérience sexuelle entre hommes, ni même ceux qui y pensent, mais n’osent pas franchir le cap.

“Pourquoi je suis gay ?” Mathias Chaillot aimerait ne pas se poser cette question. Mais chaque étape jalonnant sa vie d’homo l’y ramène : premiers désirs inavouables, coming out éprouvant, agressions haineuses… Alors il entreprend une recherche sur les connaissances scientifiques existant à ce jour, qui permettraient d'expliquer, plus ou moins, l'orientation sexuelle des individus. Et ces recherches existent depuis fort longtemps, comme l'explique l'auteur dans une interview : « Dès qu’on a inventé le terme homosexualité, finalement, on l’a pathologisée, et à partir de là, si c’est une maladie, on va chercher la cause, c’est la dégénérescence. Et c’est Michel Foucault qui dit à peu près ceci dans La Volonté de Savoir : le principe de la norme, c’est de chercher la marge, et le principe de la marge, c’est de chercher à la corriger. Donc, dès qu’on a inventé le mot homosexualité, on a cherché l’homosexuel. Comment est-ce qu’il fonctionne, comment est-ce qu’on l’a disséqué, au propre, comme au figuré, pour essayer de voir quelle était la pièce cassée… »1

Mathias Chaillot, dans son essai, dissèque donc des années de recherches sur le sujet. De la psychologie à l’endocrinologie, en passant par la génétique ou la biologie : toute la science s’y est mise, donnant lieu à des théories surprenantes.

Parmi elles, l’idée qu’une faible exposition à la testostérone durant le « premier bain » - celui dans lequel nous sommes pendant les neuf mois de grossesse - conduirait les homosexuels à adopter des comportements et des traits physiques dits « féminins ». Certains chercheurs ont aussi pensé qu’il existait un « effet grand frère », selon lequel la probabilité d’être homosexuel augmenterait avec le nombre de grands frères. D’autres, un « gène gay », quand les béhavioristes - ces scientifiques pour qui notre attitude dépend d’un stimulus donné - ont un temps estimé que les premières fois jouaient un rôle clé dans l’orientation sexuelle.

Voilà donc un tout petit aperçu des théories répertoriées par le journaliste. Quand on lui demande pourquoi, malgré les nombreuses pistes envisagées, les corrélations qui ont été faites, rien n’a jamais été démontré, voici sa réponse : « Plusieurs raisons à ça. D’abord, il faut savoir que les chercheurs qui ont travaillé sur ces sujets viennent de secteurs scientifiques différents et spécifiques. Ils n’ont pas mutualisé leurs efforts, c’est-à-dire que la recherche psy a réfléchi de son côté et la recherche en biologie du sien, par exemple. Résultat : certaines des découvertes se contredisent quand d’autres, au mieux, n’apportent qu’une partie de la réponse. Aussi - et c’est très souvent le cas - ces études ne se concentrent que sur un nombre trop faible de sujets pour généraliser les résultats. »2

Durant cette enquête, Mathias Chaillot constate d’ailleurs que bon nombre de chercheurs sur cette question, sont des personnes concernées par l'homosexualité. Ils ont souvent cette idée que, si on chasse l’ignorance, on chasse l’homophobie. Un sondage cité dans l'ouvrage montre que, plus les personnes croient que l’homosexualité est présente dès la naissance, plus elles sont favorables aux droits des homosexuels. Bien sûr, le journaliste n'ignore pas toute l’ambiguïté de la légitimité ou de l'utilité de ces recherches, dont certaines ont eu des conséquences atroces : « De fait, ces recherches ont servi à justifier des atrocités et des méthodes barbares violentes visant à faire revenir les homosexuels « sur le droit chemin » de l’hétérosexualité.

C’est le cas, par exemple, de la castration, qui fut pratiquée dans la première partie du XXe siècle, selon l’hopothèse que les homosexuels produisaient trop de testostérone. Avant cela, il y a eu la stimulation électrique par implants cérébraux, parce qu’on croyait qu’au contraire, on n’en produisait pas assez. Dans les années 1960, un chercheur du nom de McGuire a, lui, imaginé un électrochoc transportable, pour se torturer à domicile à chaque pensée homosexuelle.

S’interroger sur les origines de l’homosexualité n’est pas dangereux, mais l’utilisation des réponses peut l’être. Il suffit de voir l’emballement de la presse britannique quand on a cru avoir découvert un gène gay dans les années 1990. « Youpi ! Espoir d’avortement », titrait un quotidien. »3

Il y a également, dans ces recherches, une part importante donnée à l’étude des comportements homosexuels parmi plus de 1500 espèces animales ; finalement, la nature est assez queer, avec une seule espèce capable de rejeter ses membres pour cette raison : l'être humain.

Cette étude « est très importante parce qu’elle nous replace « dans la nature ». L’argument contre nature, il n’y a rien de plus absurde. En effet, si on regarde la nature, il n’y a rien de plus cool que l’homosexualité. Mâle et femelle, c’est un concept qui existe certes chez les mammifères, mais dans des millions d’autres espèces, ce n’est pas le cas. La transidentité, la fluidité, ce sont des choses qui existent dans le monde animal. On a observé un groupe de girafes pour savoir si elles ont des rapports homos : 90 % de leurs rapports sont homos ! Dès qu’on observe un peu, on trouve. C’est donc assez intéressant pour remettre l’homosexualité dans ce qu’on appelle la nature, et toutes les orientations possibles de la diversité de la sexualité. Le danger, c’est d’imaginer qu’on est des moutons ou des rats et que ce qu’on va voir chez une espèce fonctionne chez l’autre. On a trouvé des choses chez le mouton, on a trouvé des trucs chez les souris, mais on sait que nos comportements sexuels ne sont pas les mêmes. Notre cerveau est différent. C’est d’ailleurs pour ça qu’on est capable de détruire notre planète et que les animaux ne sont pas capables de le faire… Le vrai risque, c’est de calquer nos modèles humains sur des animaux et vice versa… »4

Cette plongée menée dans les travaux de tous ces chercheurs pourraient nous faire craindre un essai austère et ardu, il n'en est rien. L'auteur sait non seulement très bien vulgariser les questions scientifiques, mais en outre, il ne manque pas d'humour. Le fond est très sérieux, avec à la fin, un relevé exhaustif des sources, mais la forme est légère et facétieuse. Mathias Chaillot arrive à donner à son essai un équilibre en en faisant aussi un récit personnel, avec notamment de très belles pages sur ses grands-parents, sur son coming out ou sur son vécu, et celui de son entourage, de l’homophobie. Il est même allé jusqu'à infiltrer une thérapie de conversion en Pologne !

Enfin, je voudrais terminer sur un dernier point. Cet essai parle exclusivement de l'homosexualité masculine. Voici comment le journaliste s'en explique :

« Je suis un homme qui aime les hommes et je pense que l’homosexualité féminine sera beaucoup mieux décrite par des femmes lesbiennes. La première raison c’est ça, c’est un parcours personnel. L’autre raison c’est que la plupart des travaux qui ont été menés concernent l’homosexualité masculine. Il y a très peu de recherches sur l’homosexualité féminine. En tout cas beaucoup moins. La science est un monde d’hommes et les hommes regardent les hommes. De plus, l’homosexualité masculine a été perçue comme beaucoup plus menaçante pour la société que l’homosexualité féminine, qui était niée. La plupart des lois homophobes ne concernaient que les hommes. Si un livre doit exister sur l’homosexualité féminine, autant que ce soit une femme qui le fasse. »5

Cet essai constitue une bonne synthèse, que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire. A la réponse à la question « Pourquoi je suis gay ? », l'auteur conclut qu'il serait vain de chercher à l'homosexualité une cause tant biologique ou génétique que comportementale ou environnementale. C'est tout un faisceau de paramètres qui, pris globalement, vont positionner chacun de nous à un endroit du spectre sexuel.

Mais je laisse Mathias Chaillot conclure bien mieux que moi en citant les toutes dernières phrases de son essai : « Ma réponse est donc pleine de zones d'ombre et de flous, constamment mouvante, et c'est ce qui la rend belle, parce que c'est mon explication à mon désir. Me voilà bien obligé d'admettre, somme toute, que je ne sais toujours pas comment ni pourquoi je suis devenu gay. Mais je sais une chose : je suis chanceux de l'être. »

JM

1Extrait d'une interview au site web « Komitid » du 23 octobre 2023

2Extrait d'une interview au site web « Huffpost » du 21 octobre 2023

3Extrait d'une interview au site web « Huffpost » du 21 octobre 2023

4Extrait d'une interview au site web « Komitid » du 23 octobre 2023

5Extrait d'une interview au site web « Komitid » du 23 octobre 2023

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