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Cet ouvrage est paru en février 2024 aux éditions "On ne compte pas pour du beurre". Il fait partie de la collection « jaimeraistyvoir », collection de guides sur les représentations en littérature jeunesse. Ses auteurices présentent les représentations disponibles de personnages LGBTQI+ au sein de la production d’albums jeunesse en France.
Cet essai, qui se veut exhaustif, limite son étude aux livres publiés par les maisons d’édition jeunesse traditionnelle, dont les livres sont diffusés et distribués en librairies. Cela exclut toutes les productions auto-éditées et/ou auto-diffusées (qui représentent une dizaine d’ouvrages).
Cet essai se concentre sur les albums et ses auteurices s’en expliquent ainsi : « Pourquoi les albums plutôt que la bande dessinée ou les romans ? Parce que les albums jeunesse sont un objet de la petite enfance. Ils sont typiquement adressés aux enfant de 0 à 6 ans. Contrairement aux romans ou aux bandes dessinées, les albums sont des livres qui ont été pensés comme des objets-livres lus aux ou avec les enfants, et non par les enfants de façon autonome. Que ce soit dans la sphère privée ou dans la sphère scolaire, les albums jeunesse participent à la construction de toustes les enfants. » (page 19).
Les auteurices recensent l’ensemble des parutions, présentent leur trame narrative et portent un regard critique sur la manière dont sont représentées les personnes LGBTQI+ quand iels le sont. Pour structurer l’essai, iels ont choisi de décliner chaque lettre du sigle LGBTQI ; pour chaque catégorie, trois parties : représentations majoritaires, représentations rares et représentations (quasi) manquantes.
J’ai beaucoup apprécié le côté exhaustif de cette étude, et l’analyse critique sans concession. Je vais seulement reprendre dans ce compte-rendu les principales remarques qui m’ont interpelé et que je trouve significatives sur cette production littéraire.
Tout d’abord les chiffres parlent d’eux-mêmes !
    L : 32 albums
    G : 26 albums
    B : 1 album
    T : 12 albums     
    Q : 3 albums
    I : 0 album
Au total, 70 albums (certains appartiennent à plusieurs catégories) parus entre 1977 et 2023, c’est-à-dire que cela ne représente même pas 1 % de la production annuelle de livres pour les 0-6 ans en France ! Et encore faut-il ajouter que de nombreux albums, dans cette liste, sont en arrêt de commercialisation !
 Parmi les représentations majoritaires, les albums qu’on trouve en plus grand nombre sont ceux qui présentent des modèles familiaux divers, mais la norme n’est jamais très loin :
« Ne sont incluses que des familles qui sont simplement non cishétérosexuelles. C’est-à-dire que ces familles remplissent les attentes normatives de ce qui constitue une vraie famille et ne cumulent jamais plusieurs marginalisations. Les couples gay sont très majoritairement blancs, et de plus, les hommes qui les composent suivent sans exception les attentes cisnormatives. Ils ressemblent à ce à quoi un père devrait ressembler – mâle, masculin - , le seul point qui les distingue des couples hétérosexuels est le fait qu’ils ne sont pas hétérosexuels. Les familles homoparentales non blanches existent, mais sont rarement représentées. Cette uniformité ne permet pas de rendre compte des spécificités de l’ensemble des familles homoparentales. Un.e enfant peut avoir deux pères ou deux mères pour plusieurs raisons : iel est peut-être né.e d’un couple hétérosexuel qui a divorcé (ou s’est séparé) puis s’est remarié, ou iel est peut-être l’enfant d’un couple homosexuel. Il est important de laisser place à l’ensemble de ces familles, sans négliger les particularités de chacune. » (page 71).
Les auteurices dénoncent l’importance des contextes non réalistes : animaux anthropomorphes, univers merveilleux : « Et depuis, c’est le défilé des princesses, fées et chevaleresses lesbiennes. On pourrait se dire, tant mieux. Mais cette profusion de personnages lesbiens dans un contexte non réaliste est à considérer au regard de leur quasi-absence dans des contextes réalistes de façon complètement banalisée. [ …] Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’une petite fille grandissant sans lesbiennes dans sa vie, à qui on ne montre des lesbiennes que dans des mondes irréalistes, merveilleux, n’intégrera pas le lesbianisme comme étant une orientation sexuelle existante, une possibilité pour elle. » (page 38)
Dans de nombreux albums, l’homosexualité est présentée comme un problème ou un secret, et un certain nombre de personnages sont victimes d’homophobie. Certes, pour dénoncer l’homophobie, l’histoire doit d’abord l’aborder, mais « l’omniprésence de ces récits dans les quelques récits disponibles renforce l’idée qu’être gay ne pourrait être que source de conflits, de violences, de douleurs, qu’il est impossible ou difficile d’être heureux et gay. » (page 85).
D’ailleurs, il est intéressant de noter ce que l’on trouve dans les représentations rares ou quasi manquantes : l’homosexualité enfantine (et heureuse), la lesboparentalité et la gayparentalité banalisées, sans que ce soit un sujet en soi. C’est ce manque que la maison d’édition On ne compte pas pour du beurre veut combler, comme nous l’a expliqué une de ses créatrices lors de notre dernier festival du mois de juin.
J’aimerais à présent, dans un contexte où la transphobie est en plein essor, m’attarder un peu sur la représentation des personnages transgenres.
« Il existe très peu d’albums avec des personnages s’identifiant comme trans ou pouvant être identifiés comme trans. La majorité des albums présentés comme ayant un personnage trans ont des personnages en questionnement, sans qu’il soit possible d’estimer si l’enfant en question s’engagera dans un parcours de transition ou non. » (page 101).
« Les rares exemples de personnages trans à l’intérieur d’un album jeunesse passent par l’implicite et des personnages d’animaux anthropomorphes… Cet évitement est la conséquence directe de biais transphobes : on estime que les enfants seraient trop jeunes pour être trans ou pour comprendre la transidentité. » (page 110).
Je voudrais conclure avec un extrait concernant un album dont un compte-rendu a été fait sur ce blog : Je suis Camille.
« Cet album représente bel et bien une personne trans et pourrait servir de support pédagogique pour des personnes cis : on y explique ce qu’est une personne trans et les conséquences des propos et actions transphobes. Mais dans l’imaginaire collectif, il contribue à renforcer l’idée que les personnes trans sont des personnes fragiles à aider. […] Bien que les personnes trans subissent de la transphobie, et puissent avoir des problèmes de santé mentale, leurs existences ne se résument pas à cela. En choisissant de ne montrer que cela à l’intérieur du premier album avec un personnage trans, on a participé à l’impossibilité de considérer les personnes trans comme des individus autonomes et potentiellement heureux . » (pages 114-115).
Cet essai met en lumière les manques de notre littérature de jeunesse : un manque quantitatif, évidemment, mais aussi un manque qualitatif. Parmi ces albums, tous ne se valent pas. Certains restent imprégnés de cishétéronormalité, d’idées et de conceptions homophobes et transphobes. Se cachent bien des vides, certaines représentations sont rares, d’autres restent absentes . Espérons que la maison d’édition On ne compte pas pour du beurre ouvre la voie à de nombreuses autres !
Cet ouvrage est un bon outil pour les parents, mais aussi pour les professionnels de l’enfance, enseignants et bibliothécaires. Outre la liste complète des albums, on pourra trouver à la fin du livre une grille d’analyse d’album.
Le mot de la fin : cette nouvelle collection compte deux autres titres :
    • Où sont les albums jeunesse antisexistes ?
    • Où sont les personnages d’enfants non blancs en littérature jeunesse ?

JM

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