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Il y a quelque temps, une psychologue scolaire m’a sollicité pour trouver un album abordant la transidentité. Elle suivait un jeune élève de six ans qui vit à présent avec deux mamans, son père ayant fait sa transition. La famille et la psychologue cherchaient un support pour engager un dialogue et une réflexion avec l’enfant.
N’ayant pas de titre en tête, je me suis mis à la recherche d’un tel livre et j’ai bien vite constaté qu’il n’existait pas beaucoup d’ouvrages qui abordaient un tel thème, et surtout pour un public aussi jeune.
Je suis finalement tombé sur un petit roman destiné aux 6-8 ans, intitulé L’ouragan et moi, écrit par l’autrice québécoise Marie-Pierre GAZAILLE et paru en décembre 2021.
Le personnage central s’appelle Philémon. Philémon est un jeune garçon de 10 ans et, comme il nous le dit d'emblée : il est "l'homme de la maison". En 2013, son père Louis décide de franchir le pas et d’être enfin la femme qu'il a toujours été au fond de lui. Pour Philémon, ce changement bouscula bien des choses, à la manière de cet ouragan, Ingrid, qui passa cette année-là sur les États-Unis. D'ailleurs, Louis choisit précisément ce prénom pour entamer sa vie en tant que femme, aux abords de la quarantaine. Désormais, Philémon est partagé entre ses deux mères, qui sont demeurées très proches et ont acheté un duplex, de manière à élever leur enfant avec une bonne proximité. Philémon nous parle des sourires radieux de sa seconde maman, qui adore porter tous ces vêtements colorés qu'elle ne pouvait pas porter, se faire des couettes et tous ces petits bonheurs d'être enfin fidèle à soi-même en dedans comme en dehors. L'ombre au tableau? Noam, un de ses camarades de classe, qui se moque allègrement de cette "homme-femme", en des termes parfois bien blessants. Un jour, cependant, lors d'un projet de classe, sa camarade Laurence propose de prendre sa mère transgenre comme sujet d'oral, sous le thème du courage. Philémon devra donc apprendre à surmonter ses craintes.
La principale qualité de ce roman est d’exister. La littérature de jeunesse manque encore cruellement d’albums et de romans abordant des thématiques LGBTQIA+.
À la fois doux et facile à lire, le roman aborde le sujet de la transition avec délicatesse et du point de vue de l'enfant. Ici, c'est un papa qui devient une seconde maman. Délicatesse mais réalisme : on ne cache pas qu’un changement pareil  cause des remous, mais on axe beaucoup le tout sur le facteur temporel. Ça prend du temps, ça nécessite qu'on s'habitue et que des changements progressifs s'insèrent dans le quotidien. L’histoire insiste également sur le bonheur de la personne qui peut enfin assumer son genre pleinement, avec tous les petites joies qui vont avec, comme le choix vestimentaire. 

Le roman nous fait suivre les pensées de Philémon, qui normalisent les divers états d'esprit qu'on peut avoir face à un changement majeur. On peut aimer inconditionnellement son parent, mais avoir des craintes, des émotions contradictoires et des questionnements, reste normal. Surtout la crainte du jugement des autres face à la différence. Ce peut être aussi blessant d’être jugé que de voir le parent en question être jugé par les autres.
Dans l’argument de l’autrice, c'est le projet des enfants sur Ingrid qui permet ce qui est la meilleure façon de traiter la différence : en parler. Si certains peuvent devenir mesquins par crainte de ce qu'ils ne comprennent ou ne connaissent pas, reste qu’une partie des gens, en l'abordant et en en discutant, finissent par devenir curieux et à terme, sensibilisés. Voilà pourquoi c'est d'autant plus important de parler de la diversité auprès des jeunes enfants, qui ont souvent une plus grande ouverture d'esprit que les adultes.
Marie-Pierre Gazaille veut présenter la transidentité comme « une normalité parmi d’autres »(1), notamment grâce aux illustrations remplies de douceur de Marie-Eve Turgeon. Pour écrire son premier roman, elle s’est inspirée de sa grande amie Katrina, à qui est dédié le livre, qui a fait sa transition en 2012 alors que ses enfants étaient en CE2 et en 6ème.
« Je trouvais qu’il y avait une super belle histoire à raconter et je savais qu’elle aurait l’ouverture et le désir de la partager avec moi […]. Je voulais être certaine d’être dans le bon ton et d’avoir le bon angle »(2)
Aux yeux de Marie-Pierre Gazaille, les enfants du primaire aussi sont prêts à entendre parler de transidentité. « Je fais un parallèle un peu facile, mais si on pense au moment où on a commencé à parler de l’environnement, c’est beaucoup les jeunes qui se sont mobilisés et les parents ont suivi la vague. […] J’espère que, de la même façon, l’ouverture à cette différence-là et aux autres différences peut passer par la conscientisation des jeunes si on leur en donne la chance. »(3) 
Mon avis : c'est un beau petit roman simple mais pas simpliste, qui met en lumière la beauté de l'identité assumée, de la famille solidaire et aimante et du pouvoir de l'éducation. Ses 91 pages peuvent être lues par des élèves dès la fin de CP – mais la lecture par l’adulte le rend accessible à des enfants plus jeunes. Bien qu’il soit rédigé en français québécois, la compréhension reste aisée.
Paru aux éditions Québec Amérique, il n’est pas facile à se procurer en format papier, mais la version numérique se trouve facilement.
On trouvera sur le site quebec-amerique.com un dossier d’exploitation pédagogique de 9 pages.

JM

Notes 1, 2 et 3 : Extrait du journal quotidien québécois La Presse du 5 mars 2022.

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