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Effectuer des recherches et ou publier sur la transidentité n’est pas simple tant ces dernières années ce « sujet » fait l’objet d’une instrumentalisation politique sans précédent. Terrain glissant, lieu d’affrontement idéologique, comment lae cherchereuse peut iel s’en sortir ?
On lira avec intérêt le travail d’Emmanuel Beaubatie qui publie une étude sociologique sous le titre de « Transfuges de sexe », avec comme sous-titre « passer les frontières du genre ». Il faut le dire tout de suite, loin de se cantonner à la binarité, l’auteur s’intéresse à la transidentité comme fondement d’un vaste questionnement sur le genre. Beaubatie ne se limite pas à l’étude de la phase de transition ou de l’après transition, mais cherche à montrer par les trajectoires de vies sur le temps long combien les transitions sont déterminées par des facteurs qui ne se limitent pas au seul rapport au genre : la classe, le soutien familial, la « race », le sexe social assigné dans l’enfance, etc.
Après avoir restitué l’histoire de la conceptualisation de la transidentité depuis la fin du 19e siècle, l’auteur analyse les enjeux sociologiques de la transidentité à partir de dizaines d’entretiens et d’études menées à grande échelle.
Même si ce travail date (année 2010), en ayant connu une première publication en 2021 et que le rapport à la transidentité évolue très vite, l’étude est passionnante. Elle montre combien les conditions de la transitions pour les MtFs (autodétermination de personnes assignées garçons à la naissance s’affirmant dans le féminin) et les FtMs (autodétermination de personnes assignées filles à la naissance, s’affirmant dans le masculin) sont différentes, tant la question de la féminisation du masculin ou de la masculinisation du féminin constituent des enjeux totalement différents dans le système hétéropatriarcal. Avec comme conséquence un soutien différent de la part des familles et des proches (plus favorables aux FtMs), mais également une perception sociale qui entraine souvent des violences contre les MtFs. Et si les MfFs font l’objet d’un déclassement social (les femmes étant infériorisées par rapport aux hommes), les FtMs, qui bénéficient au contraire de privilèges, vivent plus difficilement cet accès à un monde producteur du sexisme dont ces personnes étaient jusque-là victimes.
La « mobilité sociale du sexe » peut-être comparée aux mobilités sociales tout court et leur diversité, voire aux migrations qui confrontent l’individu à toutes sortes de systèmes de passage et d’allers-retours d’un monde à l’autre, d’impératifs institutionnels, de réassignations violentes.
Si Beaubatie interroge les différentes trajectoires depuis l’enfance, les embuches ou au contraire les éléments facilitateurs en fonction des origines de chacun.e, il n’inscrit pas sa réflexion dans un cadre strictement binaire.
L’auteur propose de repenser genre, certes comme une division de la société en deux classes de sexe « opposées » et hiérarchisées, mais en s’inspirant des travaux de Bourdieu sur les classes sociales. Pour ce dernier, chaque classe est par nature plurielle, composée de « fractions » dotées de cultures spécifiques. Au-delà de la diversité de chaque sexe social construit, Beaubatie s’intéresse au rapport à la binarité et à sa transgression par une nouvelle génération de personnes, souvent jeunes et diplômées, qui se définissent comme trans ou non, mais qui rejettent le système de genre binaire dans un élan subversif et militant. De ce point de vue, les personnes trans’ et ou non-binaire sont pensées sociologiquement en trois catégories : les « conformes », issues plutôt de milieux populaires, MtFs, qui se conforment aux protocoles administratifs et médicaux souvent par manque de moyens d’y échapper et qui se conforment également à la binarité de genre avec une volonté d’intégration « parfaite » dans le sexe de destination et donc d’invisibilisation ; les « stratèges » qui utilisent le milieu militant pour contourner les protocoles et s’inscrivent également dans la binarité ; enfin les « non-binaires », qui recourent peu à la chirurgie, dans lesquels les FtNB dominent, personnes issues de milieux favorisés et qui se montrent majoritairement militant.tes et critiques, en étant désireuses de ne pas se fondre dans la masculinité ou la féminité, et donc de maintenir visible le « trouble » dans la binarité.
Cette étude sociologique n’est pas un ouvrage militant, elle se veut scientifique, sans illusion néanmoins sur le caractère « situé » de tout point de vue, sans oublier les choix linguistiques. L’ouvrage d’Emmanuel Beaubatie est un formidable outil pour mieux comprendre les différentes trajectoires trans avec cette belle ouverture sur la non-binarité. On recommande !

G.

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