Dans un monde qui n’existe plus, un film d'Aelrun Goette
Film de la réalisatrice allemande Aelrun GOETTE, née à Berlin-Est en 1966. Ce film, en partie autobiographique, ressuscite une histoire vibrante de l’Allemagne, oubliée après sa réunification.
En RDA, au début de l’été 1989, une jeune adolescente, Suzie, que l’on pouvait qualifier alors d’ « antisociale », est brutalement projetée dans l’univers ouvrier d’une usine de câblage pour avoir porté ouvertement un écusson prônant la paix et lire un livre hautement condamnable par la Stasi. Tous ses rêves semblent alors compromis…
Après la sanction imposée par la Stasi, elle voit son monde s’écrouler. Que lui reste-t-il à espérer ? Se plier aux exigences des quotas de production imposés par la direction de l’usine ? Rentrer dans le « moule » social ?
Un jour, dans le tramway qui la conduit au travail, Suzie est prise en photo par un jeune motard posté sur le bord de la route.
Quelque temps plus tard, Kerstin brandit sous les yeux de sa sœur aînée une revue très populaire en RDA, SIBYLLE, qui pourrait être comparée au VOGUE de l’époque. Suzie y apparaît en photo ! Kerstin, folle de rage, écrit au journal son désir de devenir mannequin et d’être en photo, elle aussi. Elle reçoit une réponse : « …Tu es encore trop jeune pour être mannequin, mais ta sœur a retenu notre attention… »
Leur père surprend leur conversation. Il est omniprésent depuis que leur mère est décédée un an plus tôt. « Personne ne va devenir mannequin ! Tu crois que j’ai que ça à faire, de réparer des voitures en rentrant du travail pour que tu aies une chance de faire des études ? » Il déchire la lettre. Cette lettre, que Suzie récupère en morceaux est le déclencheur des évènements qui vont suivre…
Suzie se rend dans les locaux de SIBYLLE. Elle y découvre un univers totalement inconnu, vaste, lumineux, aménagé à l’occidental. Même le langage qu’elle y entend est parsemé de modernité et d’extravagance, avec une liberté d’expression nouvelle pour elle. Elle croise le photographe qui l’a prise en photo. « Je te connais toi ! » Il lui demande où elle se rend, dans ce tramway. Suzie lui raconte son boulot. Il décide du titre du prochain numéro : « Nos femmes socialistes à la production », le lieu : la câblerie, le décor : un établi industriel, le modèle : cette jeune fille.
C’est le jour J dans l’usine. L’effervescence est tangible dans l’atelier. Les filles sont excitées. Elles palpent les tissus de qualité « C’est de la vraie soie ou quoi ?! » « C’est la nouvelle collection pour la prochaine saison » répond la directrice artistique de SIBYLLE « De toute façon, tout part à l’ouest ! » « Non ! Tout reste ici ! » « Je n’y crois pas une seconde ! », lui rétorque l’ouvrière.
Le responsable de la production de l’usine est très perplexe : « Je ne comprends pas. Ils m’envoient cette fille pour que je la remette dans le droit chemin et vous organisez tout ce cirque ». « On peut bien oublier notre éducation socialiste pendant quelques instants », lui répond la cheffe d’équipe. Dans l’atelier, une banderole trône : « En avant dans la lutte pour la paix et le socialisme »
Suzie a mis un pied dans l’univers de la mode chez SIBYLLE. Elle se rend chez Rudi, le créateur de mode du journal. Il doit lui apprendre les rudiments du métier. « On est GMH ; Glamour, Magique et Hypnotisant. On organise notre propre défilé de mode. Je veux faire ça en grand. La musique. Des décors somptueux. Et je voudrais être la plus belle, pour une fois ! »
Rudi est soumis à la règle du déni « Tout le monde sait qu’il n’y a pas d’homosexuel.le.s en RDA ! » La société ne peut accorder une identité à ce qui n’a pas de réalité politique.
En sortant de chez Rudi, Suzie rejoint Coyote, le photographe, sur sa moto. Il s’arrête à hauteur d’une camionnette et interpelle les deux hommes à l’intérieur « Dites-moi, camarades, je connais un journaliste de STERN qui veut faire un reportage. Ce serait vraiment gentil de votre part de me laisser vous photographier pour qu’il voit à quoi ressemblent les gens de la Stasi »
Les rouages du gouvernement de l’Allemagne de l’Est de 1989 sont complexes et seul.e.s les initié.e.s réussissent à louvoyer dans les arcanes du pouvoir. De la sélection des mannequins à l’organisation du grand évènement annuel qu’est le défilé de mode de Leipzig, tout est sous contrôle… ou devrait l’être.
Le film nous plonge dans la réalité de la société est-allemande d’avant la « chute du mur » du 9 novembre 1989. De nombreuses interrogations s’imposent à une jeunesse qui cherche son devenir. Quelle est la force de nos rêves lorsque tout est contrôlé, dirigé, quantifié… ? La liberté se trouve-t-elle là où on voudrait aller ou peut-on la trouver là où on vit ? Comment puiser au plus profond de soi la source d’une force de résistance ?
« Ne jamais laisser quelqu’un décider qui tu es à ta place, quoiqu’il arrive »
RF