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Dans le cadre de notre prochain festival (du 7 au 12 mars 2025 à Saint-Quentin), une attention particulière sera accordée à l'analyse de la lutte historique des femmes pour la légalisation de l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Cette thématique sera abordée à travers une perspective interdisciplinaire, intégrant des éléments d'histoire, des témoignages et l’étude des représentations. Nous aurons la joie d'accueillir Nora Bouazzouni, journaliste spécialisée, qui présentera une communication axée sur les représentations de l'IVG dans les médias. 
Le regard que nous vous proposons ici, est celui d’un.e amateurice qui a exploré, certainement d’une manière non exhaustive, comment le cinéma s’est emparé de la question de l’avortement.
Le septième art a toujours capturé les échos des luttes et des réflexions qui traversent les âges. En France, l'avortement, longtemps enfoui dans les abysses du tabou, a trouvé sur la pellicule une expression complexe et mouvante, reflet des tourments sociaux, politiques et culturels qui ont façonné les XXe et XXIe siècles. Des années 1930, où il incarnait la faute et la punition, aux années 2020, où il s'érige en étendard de la révolte féministe, l'avortement a été scruté avec une palette d'émotions allant de la prudence à la provocation. Comment le cinéma français a-t-il façonné l'image de l'avortement, et comment ces images ont-elles contribué à briser les chaînes du silence et à nourrir les débats sur la liberté des femmes à disposer de leur corps ?

Les années 1930-1950 : L'ombre de la faute
Dans les années 1930, le cinéma français, encore prisonnier des codes du théâtre de boulevard, effleure l'avortement avec une timidité teintée de condamnation morale. Les films de cette époque, souvent conçus par des hommes, dépeignent l'avortement comme le fruit amer de l'infidélité féminine. Les femmes, figures de légèreté et de frivolité, sont vouées à expier leurs écarts de conduite.
Le film AMOK (1934) de Fedor Ozep illustre à merveille cette vision. Bien que l'avortement ne soit jamais montré, il plane comme une épée de Damoclès sur le destin de l'héroïne, une femme mariée enceinte après une liaison interdite. Son désespoir et sa quête éperdue d'une issue révèlent les conséquences tragiques d'une grossesse non désirée dans une société impitoyable.
Pendant l'Occupation, le cinéma français navigue entre deux eaux. D'un côté, l'idéologie nataliste du régime de Vichy renforce la traque des avorteuses, figures de criminelles. De l'autre, certains films, comme LE VOILE BLEU (1942), mettent en scène des femmes fortes et indépendantes, maîtresses de leur destin. Cependant, la maternité reste souvent présentée comme une voie de rédemption, un moyen pour les femmes de se racheter. Dans LA FILLE DU PUISATIER (1940) de Marcel Pagnol, la maternité devient un acte de purification, une manière pour l'héroïne de retrouver sa place dans le giron social.

Les années 1950-1960 : Les murmures de la vulnérabilité
Les années 1950 marquent un tournant dans la représentation de l'avortement. Il n'est plus seulement une faute morale, mais devient le symbole de la vulnérabilité des femmes, en particulier des plus démunies. Dans DES GENS SANS IMPORTANCE (1955), l'avortement est dépeint comme un recours ultime pour une jeune femme pauvre, confrontée à l'indifférence de son amant et à la précarité de sa situation. Le film ne porte aucun jugement moral, mais dénonce les conditions dans lesquelles il est pratiqué, souvent dans la clandestinité et au péril de la vie des femmes.
Les années 1960 voient l'émergence d'un cinéma plus engagé, qui s'empare de la question de l'avortement pour dénoncer son interdiction et ses conséquences funestes. Des films comme LE JOURNAL D'UNE FEMME EN BLANC (1965) et UNE FEMME EN BLANC SE RÉVOLTE (1966) mettent en scène des médecins qui, par conviction, aident des femmes à avorter, au risque de leur carrière et de leur liberté. Ces films, bien que prudents, reflètent les débats de l'époque et contribuent à éveiller les consciences.

Les années 1970-1980 : L'écho de la légalisation
Avec la légalisation de l'avortement en 1975 grâce à la loi Veil, le cinéma français commence à aborder le sujet avec plus de franchise. Des films comme L'UNE CHANTE, L'AUTRE PAS (1977) d'Agnès Varda ou UNE HISTOIRE SIMPLE de Claude Sautet célèbrent l'émancipation des femmes et mettent en scène des personnages féminins qui prennent le contrôle de leur corps. L'avortement n'est plus un acte clandestin et honteux, mais un choix légitime, une étape dans la vie des femmes.
Cependant, malgré cette avancée, l'avortement reste un sujet délicat, voire tabou. Dans les années 1980, UNE AFFAIRE DE FEMMES (1988) de Claude Chabrol revient sur les pages sombres de l'histoire de l'avortement, en explorant le destin tragique d'une avorteuse guillotinée sous l'Occupation. Ce film, bien que critique, reste une exception dans un paysage cinématographique où l'avortement est souvent passé sous silence.

Les années 2000 à aujourd'hui : La symphonie féministe                                                                        Ce n'est que très récemment que l'avortement devient un sujet explicitement féministe dans le cinéma français. Des films comme PORTRAIT D'UNE JEUNE FILLE EN FEU (2019), ANNIE COLÈRE (2022) et L'ÉVÉNEMENT (2021) abordent l'avortement sous un angle résolument moderne, en mettant en avant la solidarité entre femmes, le traumatisme de l'avortement et la lutte pour l'émancipation. Ces films marquent une rupture avec les représentations précédentes, en montrant l'avortement non pas comme un acte sordide, mais comme un choix légitime et une question de droits fondamentaux. Dans PORTRAIT D'UNE JEUNE FILLE EN FEU, la scène d'avortement est esthétisée, presque poétique, transformée en tableau pour ennoblir un acte souvent perçu comme honteux. L'ÉVÉNEMENT, quant à lui, donne à voir le point de vue de l'héroïne, une jeune étudiante déterminée à poursuivre ses études malgré une grossesse non désirée. Le film montre avec une grande sobriété la souffrance et la résilience des femmes face à l'adversité.
L'histoire des représentations de l'avortement dans le cinéma français est une histoire de silences, de révoltes et d'émancipation. Si le cinéma français a longtemps évité ce sujet, les récentes productions féministes marquent un tournant important, en abordant l'avortement comme une question de droits et d'émancipation. Ces films, en brisant les tabous et en donnant la voix aux femmes, contribuent à façonner les débats sociaux sur la liberté reproductive et à rappeler que le cinéma, loin d'être un simple divertissement, est aussi un outil de réflexion et de changement.
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