L'Aisne Gaie, première asso lgbt+ de notre département : entretien avec Véronique Leturque
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L'Aisne Gaie est la première association LGBT+ à avoir été fondée dans notre département, une asso fondée par des lesbiennes. Entretien avec une de ses fondatrices, Véronique Leturque.
F&Q : Tu es une co-fondatrice et ancienne présidente de l'association L'Aisne Gaie lancée en 2001 à Soissons. C'était quoi l'idée ? C'était quoi le contexte ?
Véronique Leturque : En 2000, j'ai fait mon coming out, à moi, aux autres alors que cela faisait 10 ans que je découvrais et vivais mon homosexualité, cachée. En 2000, j'ai fait mon coming out et ça a été une libération.
Au même moment j'ai découvert internet et me suis mise à compiler tout ce que je pouvais sur la communauté gaie, son histoire, sa culture, ses codes. J'ai rejoint un chat gay de l'époque : ooups.net devenu gay.com. J'y suis devenue modératrice puis chroniqueuse. J'y ai fait des rencontres amicales. J'ai vécu une adolescence à 28 ans, je suis sortie en boîte homo, à Reims, notamment au Bataclan.
À la fin de 2000, j'ai commencé à vivre pour la 1ère fois en couple et à assumer mon homosexualité au grand jour. Et je me suis dit que si j'avais eu la chance de voir des lesbiennes visibles dans mon adolescence ça aurait été sûrement plus simple pour moi de m'identifier en tant que lesbienne. Bizarrement, à la fac, j'avais dû faire un dossier sur la maladie au cinéma et j'avais choisi "Un compagnon de longue date", qui montrait l'arrivée dévastatrice du Sida dans la communauté gay de Los Angeles. Je crois que j'étais en recherche de représentations... Mais à la télé, quand on montrait des homos c'était pour les voir se faire insulter, discriminer, rien de très positif...
J'ai donc décidé que je serai visible, pour offrir à d'autres la chance que je n'avais pas eue.
Ma chef de service était aussi lesbienne et en couple, on ne s’appréciait pas plus que ça mais l'homosexualité commune a suffi à se dire : "Tiens, si on tentait de monter une asso pour faire bouger les choses dans l'Aisne !" Elles vivaient dans le Ternois et nous dans le Laonnois à cette époque.
Et un soir autour d'un repas à 4 trentenaires, on a fait l'AG constitutive et c'était parti ! Je me suis proposée comme secrétaire, j'ai créé le logo et le site Web de l'asso que j'ai fait évoluer au fil du temps, à mesure que mes compétences se développaient.
Je ne sais plus comment on s'est rapprochés de la Maison des Préventions de Soissons, à l'époque, qui nous a fourni une adresse et une salle pour nos réunions, mais il me semble que c'est grâce à un.e membre de l'association.
Très rapidement on a cherché à avoir un nouveau lieu dans le Ternois pour tourner.
Pour la petite histoire nous avions, en quête d'un local, rencontré le Maire de Tergnier, et ce fut épique, il nous trouvait plutôt chouettes de nous préoccuper de "ces gens-là".
Il nous a assuré que personne ne pourrait dire de lui qu'il avait "vomi du pédé." C'en était trop et sur un ton très innocent j'ai répondu "encore aurait-il fallu en avoir consommé..." défendant mes collègues... Bref on n'a pas eu de local à Tergnier !
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F&Q : Vous lancez l'association, et après ? Quelles activités proposez-vous ? Quels engagements militants ? Avec quel écho ?
VL : On crée l'asso en janvier 2001 et dans nos statuts, les buts de notre association laïque et apolitique sont multiples :
• La reconnaissance de l’identité homosexuelle par le respect des droits d’une personne à disposer d’elle-même ;
• Une sensibilisation de l’opinion publique pour une meilleure acceptation et compréhension de l’homosexualité ;
• La lutte pour le respect et l’évolution des droits des personnes homosexuelles dans tous les domaines de la vie (privée, publique ou professionnelle) ;
• La lutte contre toute forme d’exclusion et de discrimination fondée sur la sexualité de tout individu, notamment à l’encontre des homosexuels ;
• L’accueil, l’écoute et l’information des personnes gaies et lesbiennes, parents, amis et proches de ces sensibilités, afin de répondre à leurs interrogations, les aider à vaincre leur isolement et leur permettre de s’épanouir ;
• La création d’espace-temps privilégiés pour des moments de rencontre et de convivialité, l’organisation de soirées, loisirs, sorties culturelles, etc. ;
• La lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et les comportements à risque (suicide, toxicomanie…), par le biais de la prévention et l’information en direction des jeunes ;
• Le développement d’un partenariat avec les collectivités, organismes ou associations locaux ou nationaux pourvus des mêmes objectifs ;
• L’organisation de réunions et de conférences sur des sujets thématiques (homoparentalité, homophobie, prévention, etc…) ;
Au départ, on fait un communiqué de presse, on le diffuse largement sur le net. L'Union publie aussi un article. J'inonde les forums et les sites d'infos sur notre création. Je fais un site internet, en parfaite autodidacte. De son côté Kat contacte des connaissances, des amies, on contacte les homos que l'on connaît plus ou moins. C'est comme ça que Jacqueline, Maria et Martine arriveront. Je me souviens que je recontacte soigneusement tous ceux qui commentent ou nous contactent via l'adresse mail de l'asso, comme Christophe. C'est ainsi que l'association passe de 4 à une vingtaine de personnes en quelques semaines, puis 40 en 6 mois.
C'est à ce moment-là que je suis contactée par les RG [Renseignements généraux, actuels RT], la création de notre association semble inquiéter. Un policier des RG me donne rdv dans un café de Laon afin de me poser des questions sur nos intentions. Je le rassure en lui disant qu'on ne déroulera pas un préservatif géant sur la cathédrale [comme l’a fait Act Up à la Concorde à Paris en 1993]. Que pour l'instant on veut juste être un espace de rencontre et de partages ayant pour but de visibiliser l'homosexualité dans l'Aisne, se joindre à la lutte contre l'homophobie et la prévention du Sida. C'est d'ailleurs grâce à notre engagement dans la prévention du Sida, que l'on va se faire connaître des partenaires associatifs : Maison des Préventions, Soutiens Sida...
Mais d'abord, on se réunit pour faire connaissance, pour avancer ensemble. On se réunit tous les mois. On parle de l'asso, des actions à mener, des projets, des rencontres. On fait connaissance avec les nouveaux et on termine invariablement au restau pour prolonger le moment.
Au début, on fait des réunions sur Soissons, Laon, on tourne un peu, au gré de nos possibilités.
En juin 2001, on participe à une dizaine avec nos T-Shirts aux couleurs de l'asso, aux transferts faits maison et notre banderole cousue mains à la Lesbienne Gay Pride de Paris. C'est un moment magique, au milieu des chars des grosses assos, des bars et boites mythiques de Paris, il y a 10 axonais qui défilent en portant à bout de bras une belle et lourde banderole. On nous applaudit, on nous félicite, on est des rois et des reines, échappés d'un département rural que personne ne connaît !
Quelques jours plus tard on est invités par la jeune asso Rémoise Reims Liberté Gaie à nous présenter et ce seront les premiers pas dans le grand projet qu'est la première LGP de Champagne !
Cet été-là on organise deux moments conviviaux : le 14 juillet, une soirée BBQ à Mennessis dans un bar dit gay trouvé par un de nos membres, où on fera griller nos saucisses dans la cheminée de la salle où d'autres dansent ! On est une trentaine et c'est très festif. Le 15 août, on renouvellera avec une journée BBQ à la Frette, à une vingtaine de participants.
Tous ces évènements de juin à août nous soudent encore plus et nous donnent envie d'en faire plus !
En septembre, notre présidente ayant quitté l'association depuis quelques mois à la suite d’une séparation (je ne juge pas, je finirai par en faire autant !), on doit renouveler le bureau, et je deviens présidente pour un petit moment. Notre bureau s'étoffe passant de 3 à 6, j'ai une vice-présidente : Maria !
Dans le dernier trimestre de 2001, on participe à une rencontre avec Jean-Luc ROMERO, on organise une soirée Halloween (25 participants) et le 1er décembre, on participe à une action « journée contre le SIDA » avec la municipalité de Soissons.
2001 aura été une année exceptionnelle pour L'Aisne Gaie, avec beaucoup d'évènements et de projets ! 2002 nous confortera.
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F&Q : On peut avoir l'impression que fonder cette association a été facile, que vous n'avez pas rencontré de réticence ou de difficultés, qu'être une personne lgbt+ allait presque de soi à l'époque dans l'Aisne. Et pourtant, au bout de quelques années, L'Aisne Gaie cesse d'exister...
VL : Ça n'a pas été si compliqué en soi de monter l'asso, évidemment on s'est heurtés à des étonnements, des interrogations (2 fois les RG en 2 ans dont une infiltration supposée...), mais globalement on a eu un plutôt bon accueil.
Le plus dur dans tout ça, c'est l'associatif : tenir avec un investissement parfois lourd en temps, en énergie, parfois même financier. Le plus dur c'est de trouver des bénévoles, bref des gens de bonne volonté, disponibles pour faire tourner les responsabilités... On est vite rattrapés par nos vies à gérer et dans les assos, lorsqu'il y a investissement de couple, le danger c'est que lorsqu'un couple casse, son investissement associatif peut exploser en vol. Et je ne sais pas ce qu'il s'est passé pour l'Aisne Gaie après mon départ mais j'imagine qu'il doit s'agir d'un manque de renouvellement et d'un épuisement des membres du CA.
Quant à la vie gaie en 2000, je me demande si elle n'était d'une manière pas plus simple qu'aujourd'hui... Nous n'avons pas eu à déplorer d'homophobie violente comme on peut en voir aujourd'hui...
Pour ma part, lors de mon coming out, je bossais dans un établissement médico-social, mes collègues n'ont rien trouvé à redire en apprenant mon homosexualité et m'ont même défendue quand mon directeur a tenté d'utiliser cela pour dissuader les nouvelles en CDD de venir me trouver (j'étais Déléguée du personnel...) ...
Après, alors que j'étais présidente de l'Aisne Gaie, j'étais prof et j'ai vite fait savoir que j'étais lesbienne car mon investissement dans l'asso m'exposait. Je n'ai rencontré aucun problème... Et personne de l'asso à cette époque non plus, à ma connaissance...
Et puis, nous avions plus de lieux où se rencontrer, où vivre notre homosexualité librement, sans crainte du regard des autres, y compris dans l'Aisne.
Voilà...
Pour ce qui est de mes derniers souvenirs de l'asso, je me souviens que 2002 a été une grosse année de travail pour le montage de la 1ere LGP de Champagne avec les assos rémoises, une asso de l'Aube. Cette première LGP, le 1er juin, a été magique : on l'a fait !
De notre côté, il nous manquait toujours de VRAIS moyens, un VRAI local, on avait une ligne tel mobile sur laquelle on recevait des appels parfois désespérés, on faisait comme on pouvait pour gérer sans la moindre subvention. On présentait notre projet à diverses mairies, sans succès.
Entre temps, je suis devenue prof en lycée agricole à Coucy puis en 2003 après un emménagement à Chauny, j'ai été amenée à côtoyer le milieu associatif et culturel chaunois. C'est comme ça que j'ai pris contact avec la mairie auprès de laquelle on a reçu un excellent accueil ! La mairie de Chauny nous a proposé une subvention de fonctionnement, un local, une ligne téléphonique. Le Graal !
Pour ma part, je n'ai rien connu de tout ça car début 2004, après une rupture chaotique, pour me protéger, j'ai quitté l'association radicalement.
En tout cas je garde de cette époque d'excellents souvenirs et le sentiment d'avoir participé, à faire bouger les lignes, ce fut une belle aventure que j'ai pris plaisir à retrouver dans votre livre et sur votre site !
Propos de Véronique Leturque recueillis par F&Q