VIRIL, un documentaire en trois épisodes de Camille Juza et Matthias Vaysse

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La question de la virilité, loin de se limiter à une réflexion sur les comportements masculins, interroge les fondements mêmes de nos sociétés, les hiérarchies qu’elles produisent, et les mythes qui les structurent. La série documentaire Viril  sur Arte, réalisée par Camille Juza et Matthias Vaysse propose une plongée dense et érudite dans l’histoire de la masculinité, montrant que derrière l’idéal viril se cachent des enjeux culturels, politiques, économiques et symboliques majeurs. Répartie en trois épisodes d’environ vingt minutes chacun, la série adopte un ton ludique et parfois décalé, illustré par une grande richesse d’archives, de scènes de films cultes, et de vidéos issues des réseaux sociaux et des sphères masculinistes actuelles. S’y ajoute une galerie d’intervenants variés — philosophes, historien·nes, sociologues, militant·es, artistes — qui apportent un éclairage polyphonique et nuancé.
La première force de la série Viril réside dans sa capacité à déconstruire l’évidence apparente de la masculinité. Être un homme, nous montre-t-elle, n’est pas un fait biologique mais un fait social, produit par des siècles d’histoire et de représentations.
Depuis l’Antiquité, la pensée occidentale, notamment aristotélicienne, a bâti une hiérarchie entre les sexes, assignant à l’homme la verticalité, le logos, la transcendance, tandis que la femme est réduite à l’immanence et à l’incapacité. Cet héritage s’est incarné dans des figures idéales - le guerrier, le père tout-puissant, le chef autoritaire - et dans des institutions éducatives qui valorisaient le courage, la compétition et l’invulnérabilité.
La virilité, telle qu’elle est présentée dans le documentaire, apparaît ainsi comme un idéal performatif : elle n’est jamais donnée, toujours à conquérir, soumise à une quête permanente et à un risque constant d’érosion. Cette fragilité structurelle explique pourquoi, à travers l’histoire, les régimes politiques ont su instrumentaliser la « crise de la masculinité » comme levier idéologique et mobilisation collective.
Par le biais d’archives, d 'extraits cinématographiques et des vidéos issues d’internet (y compris des sphères masculinistes), la série illustre avec humour combien ces mythes sont enracinés dans les imaginaires collectifs.
Cependant, ce mythe viril n’est pas sans produire des tensions majeures. D’abord, sur le plan politique : les régimes autoritaires, hier comme aujourd’hui, exploitent les fantasmes de déclin masculin pour réaffirmer des logiques de puissance (de Mussolini à Macron, en passant par Poutine). Mais au-delà de la sphère institutionnelle, c’est dans la vie quotidienne que les effets se font le plus sentir. Le documentaire explore en profondeur la manière dont la virilité alimente les violences de genre : fanfaronnade sexuelle, culture du viol, appropriation des corps féminins, violences domestiques.
Les masculinités contemporaines, loin d’être homogènes, sont traversées par des contradictions profondes. D’un côté, des résistances féministes et sociales contestent l’ordre viriliste  ; de l’autre, des mouvements antiféministes et masculinistes répliquent en cherchant à « restaurer » une puissance perçue comme perdue, à travers des pratiques ritualisées (retraites entre hommes, coaching en séduction) qui témoignent de l’angoisse identitaire masculine face aux mutations sociales.
Enfin, la série propose un éclairage original en montrant comment la virilité s’articule au capitalisme : dans l’entreprise, les logiques de performance, de productivité et de compétition rejouent, sous une forme économico-sociale, les injonctions virilistes. Les séminaires de team building, les mises en scène de pouvoir managérial, les codes vestimentaires et corporels des élites prolongent l’imaginaire de la domination.
Si Viril excelle à déconstruire les fondements de la masculinité, la série ouvre aussi des pistes réflexives sur son dépassement. Le documentaire montre que des figures alternatives émergent : des hommes plus vulnérables, moins attachés aux codes hégémoniques, des femmes qui revendiquent certains attributs virils, des esthétiques plus androgynes. Mais il souligne également les limites de ces évolutions : dépasser la virilité ne peut se réduire à « féminiser » les hommes ou à « masculiniser » les femmes, au risque de reproduire des logiques de pouvoir sous d’autres formes.
Ce que la série nous invite à penser, c’est une révolution plus profonde  : remettre en cause les systèmes de domination dans leur ensemble, qu’ils soient patriarcaux, capitalistes, raciaux ou coloniaux. La virilité n’est pas un îlot isolé  : elle est prise dans un tissu d’inégalités qui exigent une remise à plat globale. Sans transformation des rapports de pouvoir, les tentatives d’émancipation resteront partielles et incomplètes.

Viril propose bien plus qu’une enquête sur les hommes : le documentaire dresse un diagnostic saisissant sur les sociétés contemporaines, leurs héritages, leurs fractures et leurs possibles. En déconstruisant l’histoire, les mécanismes et les contradictions de la virilité, le documentaire nous rappelle que les enjeux de genre sont indissociables des questions de pouvoir, de justice et de démocratie. Dépasser la virilité, c’est donc moins s’attaquer à une catégorie d’individus qu’à un imaginaire collectif, et cela suppose un travail politique, social et culturel de longue haleine.
Par son format court (trois épisodes), son ton mordant et son mélange d’humour et d’érudition, Viril parvient à allier accessibilité et profondeur, offrant aux spectateurs un outil précieux pour interroger leur époque et, peut-être, pour y trouver des clés de transformation.
On a beaucoup aimé !
S..

Pour aller plus loin, on vous recommande :
    • Le mythe de la virilité, Olivia Gazalé
    • https://youtu.be/j2t43tpOGJs?si=OWzmD7TQSzXV77zZ
    • La crise de la masculinité, Autopsie d'un mythe tenace, Francis Dupuis-Déri