LGBT+, progrès ou régression ?
Loi homophobe en Hongrie, crispations sur le sujet en Turquie qui opère également des reculs sur la question des violences sexistes, interdiction d’une marche LGBT+ en Géorgie et violences contre des LGBT+, crise au Sénégal autour de la question de l’homosexualité, croix gammées en France sur des passages piétons « arc en ciel », lynchage mortel d’un jeune infirmier en Espagne…
Encore ne s’agit-il que de la partie immergée d’un immense iceberg, d’une société à la dérive gangrenée par le racisme, l’antisémitisme, le sexisme, les lgbt+phobies. Et pourtant, en apparence, la situation semble avoir largement progressé dans de nombreux pays. Depuis les années 1970, les gays d’abord, puis les LGBT+ dans leur ensemble ensuite n’ont cessé d’affirmer leur présence, de revendiquer, d’imposer que les États suppriment certaines lois homophobes et même fassent voter des textes législatifs donnant plus de droits aux couples homosexuels notamment, à la reconnaissance des intersexes ou de la transidentité dans certains pays. Des campagnes d’information et de sensibilisation ont été lancées, l’Éducation nationale est même censée promouvoir les diversités et lutter contre les discriminations.
On aurait pourtant tort de s’étonner de ce décalage profond entre certains discours et des actes odieux, entre des progrès d’un côté et une radicalisation de l’autre. Les débats autour du mariage pour tous ou de l’écriture inclusive démontrent à quel point deux pôles se sont engagés dans un bras de fer puissant pour affirmer leur vision de la société. L’antiracisme des années 1980-1990 n’a pas fait disparaître le racisme, l’extrême droite n’ayant cessé de progresser depuis cette époque. Car depuis les années 1970, la société se droitise peu à peu, même si la droite, par certains côtés, se "gauchise" à la marge. Les lois en faveur de l’égalité femmes-hommes ne sont toujours pas suivies d’effets en matière de salaires notamment, ou concernant la représentation politique. Les moyens sont notoirement insuffisants pour éloigner les hommes violents et mettre à l’abri les femmes victimes de ces violences. Toujours ce décalage entre de belles intentions et les actes. Alors que depuis des décennies le sexisme recule dans certains discours, alors que le législateur semble prendre le problème à bras le corps, le mouvement #metoo et son équivalent LGBT+ ont révélé la persistance des violences sexuelles contre les femmes ou contre les jeunes hommes.
Mais alors, pourquoi les actions positives semblent incapables de fragiliser l’iceberg, de faire reculer l’innommable ?
La société dans laquelle nous vivons reste fondamentalement inégalitaire, fondée sur la domination du modèle « capitaliste » blanc patriarcal et hétérosexuel. Inégalités de genre, racisme, sexisme, rejet de la différence sont consubstantiel de tout modèle dominant et oppressif. Même si des aménagements sont possibles, les forces qui entretiennent ce modèle dominant demeurent de puissants facteurs d’exclusion, de compétition, de violences et... d'intégration ou même de dévoiement. Le modèle évolue, mais en conservant sa structure fondamentalement inégalitaire. Les homosexuels ayant obtenu le mariage et « l’intégration » se comportent souvent comme des hétérosexuels indifférents aux autres exclusions, quand ils ne les alimentent pas. L'omniprésence des jeunes dans les Pride et la quasi disparition des "vieux" dans ces manifestations tendrait à prouver à quel point cette intégration d'une génération de LGBT+ a transformé les militants d'hier en spectateurs indifférents aujourd’hui. Certes, de plus en plus de femmes accèdent aux postes dirigeants en politique ou dans l’économie, mais elles épousent à leur tour les travers du modèle dominant, le sort des femmes ou la question des violences sexistes renforcées par les inégalités les laissant parfaitement indifférentes. Sans parler du regard de la société sur les migrant.e.s… Idem pour les "racisés" qui ont "réussi".
Les « progrès » en matière de lutte contre le sexisme, contre les LGBT+phobies ou le racisme sont soit contrecarrés par les forces conservatrices, soit dévoyés par un système qui, fondamentalement, ne veut pas changer. Sans les mobilisations, sans cette pression constante contre les travers du système dominant, le sort des LGBT+ en particulier et des relégué.e.s en général ne peut que s'aggraver.
G.