Boy Erased (2018) : les dérives de la thérapie de conversion
Garrard Conley est comme n'importe quel autre adolescent américain. Il a des amis, fait du sport, fréquente une jeune fille..., jusqu'au jour où, à l'université, il fait la connaissance d'un étudiant pour qui il éprouvera un peu plus que de la sympathie et qui finira par le violer. Ce drame marque le début de son histoire, celle de son identité sexuelle, celle de son coming-out difficile auprès d'une famille pratiquante (son père est lui-même pasteur), mais surtout celle de son expérience, courte mais traumatisante, auprès de Love In Action, une structure comme il en existe tant d'autres, censée purger l'âme du pécheur et le débarrasser de ses penchants homosexuels. C'est ce qu'on appelle une thérapie de conversion.
Garrard Conley y avait suivi un programme en 2004, il n'était resté que deux semaines et, depuis, il n'a eu de cesse de dénoncer les dérives des méthodes employées par ces institutions qui, loin d'aider les "malades", les poussent malgré elles à commettre l'irréparable... Il a décidé de témoigner et d'éveiller les consciences dans un ouvrage intitulé : "Boy Erased, a memoir". Cet ouvrage, sorti en 2016, a été librement adapté deux ans plus tard par Joel Edgerton, qui endossera le rôle du thérapeute.
Outre le casting soigné (Nicole Kidman et Russell Crowe dans le rôle des parents, Lucas Hedges épatant dans celui de leur fils Jared, Xavier Dolan dans celui d'un des pensionnaires du centre...), la réalisation est assez réussie. La temporalité est faussement linéaire : ponctuée de quelques flash-backs relatifs au parcours amoureux de Jared, elle suit l'évolution mentale du garçon. S'il s'est inscrit à une thérapie de conversion sur les instances de son père, il y a en lui comme une volonté de guérir (il corrige ses gestes, ses attitudes). Seulement, son esprit critique reste vif, il relève des incohérences quant à la finalité de certains exercices (entre autres, l'arbre généalogique de type zolien, figurant les tares et les vices de chaque individu de la famille), observe et médite, assimile de moins en moins les préceptes du thérapeute. Plus le temps passe, plus il voit les dérives écœurantes de la thérapie. Il finira par se rebeller et par s'échapper de cet enfer, avec la complicité de sa mère.
L'idée de cloisonnement et d'intrusion ressort tout au long du film. En effet, il semble s'y édifier des murs plus ou moins tangibles, tant dans l'espace géographique que dans l'esprit des personnages. Derrière ces cloisons, un seul maitre d’œuvre : le centre de thérapie. Expliquons-nous. Dès que Jared franchit le seuil de l'établissement, on lui confisque ses effets personnels, notamment son téléphone qui lui permettrait de garder un contact avec l'extérieur. A l'inverse, interdiction formelle aux jeunes de raconter à qui que ce soit sur ce qui se dit ou se produit entre ces murs, pas même à leurs familles. Si cette volonté d'opacifier a pour but de protéger l'institution d'une opinion publique désapprobatrice, elle peut menacer les liens familiaux, liens qui sont les plus sacrés au regard de la religion.
L'homosexuel est vite privé de son intimité, de sa liberté de penser, en un mot : de sa vie. Il ne peut aller seul aux toilettes, son téléphone sera fouillé, ses carnets lus, voire confisqués. Lors des séances en groupe, on assiste à des scènes surréalistes, comme cette cérémonie funèbre à laquelle est conviée la famille d'un des "malades", cérémonie visant à humilier ce dernier, frappé à coups de Bible sur le dos, avec la complicité de ses proches. Ce garçon mettra fin à ses jours quelque temps plus tard, et c'est en apprenant la nouvelle que Jared prend conscience des excès de la thérapie. On tente même de calmer sa fureur, au moment où il veut quitter l'établissement, par une séance de prière par imposition des mains, à la limite de l'exorcisme. Même les propos du thérapeute à la mère de l'adolescent témoignent de la volonté de mystifier ses pratiques.
Les méthodes ont beau évoluer et paraître plus humaines (on ne traite plus par électrochocs), elles sont toujours aussi nocives pour l'individu qui les subit. Le plus horrible, c'est qu'elles ont pour nom prière, confession, simulacres d'offices, pénitences. La religion y est ici dévoyée, détournée de ses préceptes fondamentaux. Comment ces jeunes, qui ne sont pas du tout athées (les centres de thérapie ne font pas de publicité, les recruteurs sont les autorités de plusieurs congrégations religieuses), peuvent-ils conserver la foi ? Comment se réconcilieraient-ils avec des dogmes qui les ont stigmatisés, si cela était encore possible ? Dans le cas de Jared, et de Garrard Conley, être fils de pasteur ajoute à la confusion des rapports affectifs. Si le film tente de donner une touche d'espoir en laissant voir un rapprochement père-fils, cela ne semble pas le cas dans la vie réelle.
Y.