Enfermé.e, un roman de Jacques Saussey
La littérature LGBTQIA+ n’a jamais été aussi nombreuse : bandes dessinées, mangas, romans, essais… Sans parler de la filmographie, des séries. Ce roman de Jacques Saussey s’inscrit dans ce vaste mouvement qui normalise les populations qui, par leur trajectoire de vie, prennent le contrepied de l’hétéronormativité. Normalise, voyeurise, instrumentalise, commercialise également… Rien n’échappe à l’appétit glouton de nos économies, les militants gays des années 1980 dénonçaient déjà la marchandisation à l’œuvre de la culture homosexuelle.
L’autrice ou l’auteur se doivent d’être légitimes. L’appartenance à la communauté constitue souvent un label en soi. Dans sa postface, Saussey met en avant le fait qu’une personne transgenre de sa famille imprègne son roman. Autre forme de légitimité, de justification…
Enfermé.e raconte l’histoire d’un jeune garçon vite mal à l’aise dans ce corps qui semble lui avoir échu par erreur. Et très vite, le mur : le mur de ses parents et surtout du Père ; le mur des copains de classe pour lesquels le virilisme en passe nécessairement par l’écrasement de toute trace de féminité chez les garçons ; le mur de la violence et du viol, des viols répétés ; le mur de la société qui s’éveille aujourd’hui à ces questions après avoir fermé les yeux, détesté, discriminé, transformant chaque trans en proie facile…
Virginie va connaître une enfance difficile, une adolescence compliquée et une vie de jeune trans souillée par l’ignominie des hommes. Pour certains d’entre eux, notamment quand Virginie se retrouve en prison après la dégringolade par la case drogue, la trans constitue un morceau de choix. Sans défense, ni homme ni femme, donc pas nécessairement humain, la trans et son corps doivent servir tous les fantasmes, objet des perversions les plus sadiques. La féminisation de l’homme légitime les pires bassesses.
Il faut avoir le cœur bien accroché pour lire ce roman, les scènes de violences succédant aux scènes de viols collectifs. L’intrigue, rondement menée, mêle cette question de l’identité dans un monde obsédé par les frontières de la norme, à des ressorts romanesques plus classiques du thriller : le crime, la vengeance, le sexe.
Un roman qui a le mérite de faire un parallèle édifiant entre le sentiment d’emprisonnement des personnes trans dans un corps et une identité qui ne correspond pas à leur ressenti, et la prison, l’incarcération, dans laquelle l’individu est broyé, anéanti. Mais finalement, pour les Virginie, tout est prison. Et heureusement pour elles – c’est ce qui nous sauve de la honte absolue -, dans ce monde hostile, quelques lumières réchauffent le cœur : des solidarités, des amitiés, de l’amour parfois.
G.