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Roman d’une transition familiale.
«  Mouvement brusque ou secousse de l'écorce terrestre, produit à une certaine profondeur, à partir d'un épicentre », c’est ainsi que le Larousse définit le tremblement de terre. 
Ces séismes-là ont pour épicentre le père de Charlie, et ils vont profondément changer la vie de cette famille unie.
Charlie attend avec sa mère dans la salle d’attente d’un hôpital que son père sorte du bloc opératoire. Son père, Alice née Aurélien, y est entrée pour une chirurgie de réassignation génitale du sexe masculin vers le sexe féminin, dite aïdoïopoïèse, terme à fois barbare et poétique pour désigner la création chirurgicale du vagin, du clitoris, et des lèvres. Une longue attente pendant laquelle Charlie remonte le temps, de cette journée au camping de Noirmoutier où la terre a tremblé à l’annonce du coming out trans de son père, aux différentes ondes sismiques qui ont traversé la famille, deux années sous son regard : de la fois où il a surpris son père habillé « en femme » dans le garage, aux premières perruques, aux premiers traitements, aux rendez-vous médicaux, aux réactions des voisins, de la famille…et surtout Charlie évoque la transition familiale. Il évoque ce journal qu’il tient, scrutant chaque changement chez son père, chaque étape : les effets secondaires des traitements, le rejet de la pilosité, les exercices pour « féminiser » la voix, les différents rendez-vous chez la psychiatre, l’utilisation d’un nouveau vocabulaire…Il évoque sa colère, puis ce chemin vers cette « elle » que son père a toujours été. Il parle de sa mère, épouse aimante qui accompagne, accepte, non sans dommage collatéral, la transition de son mari.  Et puis, il décrit l’intolérance, le rejet, le licenciement de son père, les tags anonymes et émétiques, sa déscolarisation… Deux ans d’un long chemin, pour qu’ensemble iels accompagnent la (re)naissance d’Alice.
Avec pudeur et émotivité, Julien Dufresne-Lamy, dont nous avions déjà apprécié Jolis Jolis Monstres (voir ci-dessous) , nous livre un roman construit comme un huis clos. Le roman se déroule en quelques heures, le temps de l’intervention du père de Charlie, dans la salle d’attente d’un hôpital. L’auteur nous entraîne dans l’intime d’une famille, sans voyeurisme, dans les gestes du quotidien comme dans les secrets enfouis. On suit toutes les étapes par lesquelles passe cette famille « ordinaire » pour vivre ensemble l’extraordinaire renaissance d’Alice. 
Le choix de nous faire vivre cette transition du point de vue du fils, lui-même adolescent en pleine construction identitaire, est plus que judicieux. Si le rejet familial est souvent évoqué dans les romans évoquant la transidentité, tout comme le parcours vers l’affirmation de genre par la personne transgenre, le regard de la famille est un prisme plus rarement utilisé. Car la transition n’est pas un chemin emprunté uniquement par les personnes transgenres. Charlie et sa mère vont eux aussi devoir « transitionner ». Ce roman n’est pas un roman sur Alice, Alice est heureuse, elle est parfois découragée lorsque sa voix met du temps à se féminiser mais elle est heureuse de s’affirmer enfin. Il lui manque peut-être un prendre soin parfois, puisqu’elle met souvent sa famille sous le fait accompli (épilation des sourcils, port de tenues dites féminines en allant chercher son fils au collège…). Mais peut-on lui reprocher cette urgence à être, enfin… Ce roman est avant tout un roman d’amour, l’amour au sein d’une famille ordinaire bouleversée par un « tremblement de terre », qui va apprendre, dans la bienveillance, la liberté d’être. 

Editions Belfond, 249 p. 

S..

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