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Le récit tendre et émouvant alterne les flashback entre la vie à Paris de Martin Clément, un jeune acteur préparant un seul en scène autobiographique et Marvin, le jeune adolescent qu’il fut dans un village des Vosges.  On suit en parallèle donc,  le parcours familial et scolaire de Marvin Bijou et le parcours professionnel et amoureux de Martin, le nom qu’il s’est choisi à l’âge adulte. Un dialogue entre l’enfant et l’adulte s’installe.
Marvin vit au sein d’une famille recomposée pauvre tant matériellement qu’intellectuellement. Un cadre violent, raciste, homophobe, gangréné par l’alcoolisme. À l’école, sa vie n’est pas tendre non plus : il est le souffre-douleur de certains collégiens, qui moquent ses manières dites efféminées et le harcèlent, l’obligeant à certains gestes humiliants pour moquer son homosexualité supposée. Sa rencontre avec Mme Clément, la nouvelle principale du collège, sera déterminante. Cette dernière le pousse à poursuivre des études de théâtre et l’accompagne dans la préparation de l’examen d’entrée d’une classe théâtre. 
Une dizaine d’années plus tard, on retrouve Marvin, ayant changé son prénom et son patronyme en Martin Clément, qui prépare un seul en scène autobiographique. Martin s’est détaché de son milieu au gré de rencontres : Abel, son professeur de théâtre et Pierre son compagnon ; Roland, homosexuel fortuné qui prend ses jeunes conquêtes sous sa protection (protection amoureuse et financière) et même Isabelle Huppert dans son propre rôle. Cette dernière, à la mort par accident de Roland dont elle était l’amie, s’intéresse au travail de Martin et finira même par participer au spectacle. C’est la gloire pour Martin, devenu l’étoile montante du théâtre français. 
Marvin et Martin finiront par se rejoindre… Une résilience qui conduira ce dernier à retourner dans sa famille, pour peut-être réussir à pardonner. 

Vous venez de lire ce résumé et indéniablement vous avez fait le rapprochement avec le roman autobiographique d’Edouard Louis En finir avec Eddy Bellegueule. Cependant, même s’il s’en inspire (ce n’est pas une adaptation) il s’en éloigne tout autant. Le récit dépasse celui de l’enfance et met en scène un personnage à différents moments de sa vie : Martin convoque Marvin pour mettre en valeur le chemin de sa transformation culturelle et sociale. La diachronie a ses décors. Celui de l’enfance est souvent cruel. Le visage angélique et solaire de Marvin ( interprété par l’hypnotique Jules Poirier) s’accorde peu avec son environnement violent : un père grossier et ogresque, apathique, alignant les bouteilles de pastis et les cigarettes dès le réveil, une mère au foyer peu aimante qui quitte peu la cuisine, narrant son accouchement « au-dessus de la cuvette des toilettes » comme un excrément, un demi-frère violent et le reste de la fratrie tout aussi paumé. On ne se parle pas dans cette famille. On éructe, on gueule, on s’invective. On assène des horreurs racistes et homophobes.  Le collège où est scolarisé Marvin est lui aussi un milieu hostile et le théâtre d’actes homophobes dont il est victime.

Le jeune adulte, lui, évolue dans un décor bien différent : les beaux quartiers parisiens avec vue sur la Tour Eiffel, les soirées mondaines où le tout Paris du spectacle se croise, les échanges sur l’art, les virées en Jaguar.
Deux mondes opposés et pourtant les personnes qui y évoluent partagent une chose : le déterminisme social. Ils adoptent les comportements de leur milieu. Le père de Marvin/Martin – signalons d’ailleurs l’incroyable performance d’acteur de Gregory Gadebois – fait avec ce qu’on lui a appris. Quand les mots manquent, la violence s’installe. Il assène les phrases racistes et homophobes certainement entendues dès l’enfance, transmises de génération en génération. Bien sûr que ces propos sont condamnables mais comment apprendre à réfléchir pour changer quand son horizon se limite au supermarché pour acheter sa dose quotidienne d’alcool ? Roland, quant à lui, de mots il ne manque pas. Il manie l’art oratoire non sans une certaine séduction mais il est lui aussi enfermé « dans son milieu », milieu où l’argent permet de « façonner » les êtres . Il use allègrement de ce pouvoir de façonner.
Alors bien sûr, ces décors ont un côté caricatural et réducteur,  la France profonde « beauf » vs le milieu Gay parisien aisé.  Bien sûr le trait est parfois un peu forcé. Mais le film n’en est pas moins bouleversant et profondément humain sans jamais sombrer dans le misérabilisme. 
La fin, qui fait déborder les yeux, est d’une grande intelligence et subtilité. Le face à face pudique entre Marvin/Martin et son père, nourri de regards tendres et de sous-entendus, laisse entrer l’espoir du pardon et de la réconciliation. 
La belle éducation, sous-titre du film, est celle qui, au gré des rencontres, de l’éducation, de l’ouverture à l’autre, fait passer de l’obscurantisme à l’éveil, de la destruction à la construction. 
S..
 

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