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Depuis les années 1990, des militant.e.s trans ou des universitaires cherchent à historiciser la transidentité, c’est à dire montrer combien le phénomène est ancien. Depuis quelques années, Jeanne d’Arc, icône de la gauche républicaine comme de la droite la plus réactionnaire, a été investie par la communauté trans au point d’en faire une égérie bleu-blanc-rose. En 2010 à Lille le collectif UrbanPorn a organisé une performance trans autour et sur la statue de la « pucelle » d’Orléans. Dans la Marche des fiertés de Paris de cette année (2023), quelques femmes trans arboraient fièrement des pancartes illustrées d’une Jeanne en armure.
Jeanne d’Arc, un homme trans ?
La question est complexe, on sait bien aujourd’hui combien les concepts en vigueur depuis la fin du 19e siècle sur la sexualité et depuis encore plus récemment à propos des identités de genre, ne peuvent être plaqués sur les périodes passées sans risque d’anachronisme.
Clovis Maillet pose cette prudence, et s’intéresse, à travers les textes et les représentations, à la manière dont ces personnes emblématiques caractérisées par des identités de genres fluctuantes se sont présentées au monde et comment elles ont été perçues par leurs contemporain.e.s. 
Il faut d’abord souligner que, le Moyen-Age ou la Renaissance n’ont pas produit des archives aussi denses et diverses qu’à notre époque. L’historien.ne doit se résoudre à explorer un corpus limité, sans jamais pouvoir s'appuyer sur des témoignages directs de personnes concernée. Récits et représentations datent parfois de dizaines d’années après la mort des individus, et sont le reflet de codes de narration ou de mise en image qui correspondent à des attendus sociaux et culturels déterminés. 
N’empêche, ces images ou écrits permettent d’explorer cette question de l’ambiguïté de genre, voire de la transidentité depuis deux millénaires. Au-delà de Jeanne d’Arc, qui semble n’avoir jamais expliqué être un homme, mais qui se glissait dans des habits masculins militaires aussi bien que civils, malgré les interdictions qui lui étaient formulées, plusieurs saint.e.s des siècles précédents ont vécu sous une double identité de genre. D’abord comme femmes puis, pour intégrer les ordre religieux, comme hommes, la communauté découvrant à la mort de la personne son identité sexuelle « véritable ».
Comme aujourd’hui, le masculin était valorisé par rapport au féminin associé à la sexualité et à la faiblesse. Une personne assignée femme prenant les habits d’homme pouvait être célébrée dans la culture médiévale, avec comme condition impérieuse, la chasteté. En « devenant » homme, iel faisait preuve d’une force spécifique digne d’admiration. Dans les récits, la justification divine permet de légitimer le transfert de genre.
L’ouvrage, passionnant, explore la manière dont ces auteurices (principalement des auteurs néanmoins) des temps anciens - certain.e.s ont encore nos faveurs comme Jacques de Voragine - ont narré la vie de ces personnes « trans », quels pronoms étaient utilisés en fonction des époques, comment l’identité de genre était caractérisée, quels arguments avaient leur préférence pour justifier la transidentité et comment, à certaines époques, l’Église catholique a invisibilisé ces saint.e.s sulfureuses…
À lire !

Les genres fluides – de Jeanne d’Arc aux saintes trans, ARKHÊ, 2020, 19 euros.


G.

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