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Certaines lectures vous font regretter de ne pas être né au bon endroit au bon moment. C’est le cas de Fille à pédés, de Lola Miesseroff, autobiographie d’une anarchiste ayant traversé, sourire frondeur aux lèvres, la seconde moitié du 20e siècle. Autant le dire, ces mémoires font la part belle aux questions de sexualité et de genre, fil rouge de ce récit fort bien écrit publié par les éditions Libertalia. 
Lola naît dans un milieu cosmopolite, marginal, atypique au plein cœur de Marseille à la fin des années 1940. Ce milieu pauvre, cultivé et rebelle, agrège des influences diverses, antidote au nationalisme, au conformisme et à la bêtise : issue de parents juifs, arméniens, russes blancs « par défaut », Lola bénéficie très tôt dans l’enfance d’une éducation politisée et non genrée, dénuée de tabous sur la sexualité, ses géniteurs ayant ouvert un centre naturiste dans lequel défilent hétéros et homos, des corps libres réceptacles d’esprits bouillonnants et généreux. 
Comme l’explique Lola au seuil de ses soixante dix ans, c’est après la publication d'une interview d'elle par le marxiste Gille Dauvé sur son blog (voir plus bas) que, suscitant le questionnement de connaissances plus jeunes, l’écriture de ces mémoires s’est imposée. Des mémoires qui témoignent combien sa vie s'est tricotée à l’image de ces premières folles années, pendant lesquelles Lola apprend combien « son » monde diffère « du » monde : hiérarchies sociales, répression des esprits et des corps par l’école… 
Lola s’entoure très vite d’une bande d’ami.e.s qui ne cesse de grandir, de se diversifier, de s’étendre géographiquement, attirée par les originaux, les illuminé.e.s, les rebelles, les pédés, les gouines, les bi.e.s, les travestis, les fêtard.e.s, les révolté.e.s. Il faut dire que la fin des années 1960 offre pour une certaine jeunesse, bien des leviers pour questionner les règles, les normes, les traditions. Dans son adolescence cosmopolite, Lola découvre les sexualités, la fluidité des genres, le polyamour (d'après Lola, on employait déjà le terme de pansexualité dans les années 1970) et bien sûr tous les engagements politiques autour de ces questions qui vont émerger après le coup de tonnerre de mai 68. 
Lola, c’est la « fille à pédés », une étoile parmi les étoiles qui se passionnent pour le situationnisme, pour les idées anarchistes, la révolution, le FHAR, le mouvement féministe, la contraception, la lutte des classes, qui se démarque des gauchistes et de leur sérieux absolu, des léninistes, des staliniens, des maoïstes, une étoile qui réenchante le monde chaque jour en fêtant incessamment les plaisirs de l’esprit et du corps, questionnant les bases d’un monde prison dure aux exploité.e.s, aux femmes, aux homosexuel.le.s, aux « étrangers ».
C’est cette générosité du regard et cette infinie liberté de Lola Miesseroff qui ne cesse de nous interroger : que sont devenues ces années feu d’artifice, ces tremblements de terre, cette rage de vivre en testant les limites, ce goût du collectif ? 
Que sont devenues ces étoiles qui questionnaient plutôt que d’affirmer des identités, qui bousculaient plutôt que de revendiquer des droits pour soi, qui transgressaient plutôt que de s’installer dans le confort de nouvelles normativités ?
G.

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L
Merci pour ce bel article qui me rassure au moment où le livre va paraître aux États-Unis et qui me fait chaud au coeur dans cette période peu réjouissante.
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G
J'ai adoré votre livre et on adorerait vous recevoir pour une conférence/débat autour de votre histoire et vos engagements. Nous sommes situéEs à une heure vingt de Paris en train à Saint-Quentin dans l'Aisne. N'hésitez-pas à nous contacter par mail. Mille merci par avance !!!!