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Au début de ce roman, nous sommes en novembre 1945 à Leipzig. Klaus Hirschkuh débarque à la la gare, dans une ville en ruines.  Il marche parmi les décombres, lui même en morceaux. Il vient de passer quatre ans à Buchenwald parce qu'il est homosexuel. Pas mort, pas tout à fait vivant. A la recherche de sa maison et de ses parents, il va tenter de se reconstruire, en dépit de l'incompréhension, de l'agressivité et du jugement d'autrui. Ses parents l'accueillent de leur mieux, sans mesurer ce qu'il a vécu, et surtout sans avoir jamais accepté son homosexualité.
L'histoire nous emmènera jusqu'à l'aube des années 90. Klaus se liera d'amitié avec un collègue français, René, interné un an à Sachsenhausen, expérience qui les rapprochera. Ils décideront de partir en France ensemble. A Paris, Klaus apprendra le français, se heurtera au racisme « anti-boche », trouvera du travail chez un Arménien dont toute la famille a péri dans le génocide. Peu à peu, Klaus retrouvera le désir, la drague, fera des rencontres brèves puis se liera durablement à Julien. Jusqu'au jour où Julien, victime d'un tabassage homophobe, deviendra invalide puis mourra. Klaus décidera de ne plus se taire et deviendra un militant de la cause homosexuelle.
Le roman s'achève lors d'une commémoration de la déportation, durant laquelle le black-out est fait sur les déportés homosexuels ; pire, « de la foule et parmi certains déportés on cria : les pédés, aux fours ! ».

Le livre de Daniel Arsand n'est pas un témoignage, la vie de l'auteur n'est pas celle de son héros. En fait, il s'agit d'un long monologue intérieur où, dans une sorte de délire, Klaus ne cesse de s'adresser à son amant mort : « Je suis en vie et tu ne m'entends pas, toi, Heinz, qui a préféré la mort à l'arrestation, toi qui ne peux plus m'entendre et à qui pourtant, dans le deuil impossible de ton amour, je m'adresse pour te dire l'indicible de ce que, sans toi, j'ai vécu seul... « là-bas ». »
J'ai trouvé la langue extrêmement belle, alliant poésie, violence, hurlements, amour, sécheresse … mais parfois un peu difficile à appréhender. Car les temporalités se confondent, Klaus est à la fois dans le présent et le passé, hanté par cette barbarie qui lui revient d'une manière obsessionnelle.
La langue deviendra de plus en plus fluide et linéaire au fur et à mesure de la reconstruction de Klaus. Car si se roman est dur, à la limite du supportable, c'est avant tout le récit d'une reconstruction. La réappropriation par un homme de son propre corps. Ce corps abîmé, abusé, maltraité, Klaus continue bon an mal an de l'habiter, et peu à peu parvient à le réincarner, jusqu'à enfin le revendiquer. Mais alors que la chair reprend vie, l'âme, elle, cicatrice mal. C'est à la toute fin du roman, quand Klaus se donnera la mission de combattre pour le droit des homosexuels qu'il trouvera une justification à sa survie.

Le roman nous donne l'occasion de revenir sur ce terrible  paragraphe 175 , qui justifie l'internement à Buchenwald et l'impossibilité pour Klaus de se reconstruire et de s'assumer dans son pays. Rappelons que les dispositions aggravées en 1935 du paragraphe 175 ne sont abolies qu'en 1969, et le paragraphe 175 lui-même qu'en 1994.

Je voudrais terminer en disant que l'on sent dans chaque page de ce roman la nécessité d'être lu et citer un extrait de la dernière page :
« Il n'y aura bientôt plus de témoins oculaires de ces temps de peste, et les temps de peste sont sur le point de revenir.
Nous devons combattre leurs artisans et les foules bercées de haine . Combattre est une règle de vie. Nous sommes les héritiers de ceux qui sont morts à Buckenwald et dans tout autre camp de concentration ou d'extermination. Nous devons écrire que des êtres pareils à nous y ont crevé, et que certains ont pu échapper à un destin programmé. Ils ne sont plus parmi nous, mais c'est à nous de continuer à dresser le poing et à affûter nos colères ».

JM.

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