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Le patriarcat et l’hétérosexisme ont trouvé dans les sociétés modernes leur plus désolant aboutissement dans l’institution militaire. Strictement masculines, les armées ont valorisé un virilisme stéréotypé imposant sa marque à toute la société. Cheveux courts, uniformité des tenues vestimentaires, soumission à l’autorité, abnégation, nationalisme, courage, violence et haines légitimées… Sont exclu.e.s de cet univers jusqu’à une époque récente les femmes, bien sûr, mais également les homosexuels et les personnes transgenres. C’est cette thématique qu’explore le film sud-africain « Moffie » (tapette en afrikaans) de 2019.

Le récit se situe dans les années 1980, alors que l’Afrique du Sud n’a pas encore vu la fin de l’Apartheid. On suit l’intégration dans l’armée d’un jeune blanc, Nicholas, tout garçon de 17 ans devant accomplir son service militaire de deux ans avec le risque, à l’issue, d’être envoyé en opération sur la « frontière », une zone de conflit avec l’ennemi « communiste » (pays soutenus notamment par Cuba).

Dans Moffie, l’armée sud-africaine est décrite comme particulièrement violente à l’égard d’une jeunesse peu inspirée par le bellicisme ambiant, mais imprégnée de racisme. Brimades, insultes, coups, tâches répétitives, la formation des jeunes recrues par les officiers ressemble autant à une déshumanisation qu’à un bourrage de crâne. Dans les discours, plusieurs ennemis sont ciblés : le communisme, le danger « noir » et enfin l’homosexualité.

Depuis son adolescence, Nicholas est attiré par les garçons. Mais dans cet univers concentrationnaire, l’homosexualité n’a pas sa place. Un échange de regards trop insistants peut tout faire basculer. La hiérarchie vise toute forme de scepticisme à l’égard des discours propagandistes et encourage les agressions envers les homosexuels, qui sont directement internés à l’hôpital psychiatrique militaire aux côtés des malades mentaux et autres dépressifs, « soignés » à coup de médicaments à haute dose. Comme d’autres, le soldat pour qui le cœur de Nicholas se met à battre est envoyé en psychiatrie.

Le film, qui montre comment ces jeunes blancs sont formés à agir en bourreaux contre les populations noires, évoque en arrière-plan ces traitements psychiatriques forcés des homosexuels internés d’office à l’hôpital militaire de la base de Voortrekkerhoogte - aussi appelé Ward 22 -, près de Pretoria, dans un service fondé en 1969. Le programme, étudié plus tard sous le label « The Aversion Project », impose de véritables thérapies (!) dites de conversion par traitement chimique, électrochocs, mais également par des castrations et même des opérations de réassignation sexuelle en cas d’échec de la thérapie de conversion, des opérations souvent partielles et qui ont entrainé la mort de nombreux conscrits... En Afrique du Sud, l’homosexualité était donc interdite dans l’armée de métier, mais « soignée » systématiquement dans l’armée de conscription. Le médecin fondateur du Ward 22 sera condamné en 2014.

Le réalisateur s’est inspiré des mémoires éponymes d’André Carl van der Merwe, un auteur et ancien conscrit, lui-même homosexuel. Rappelons qu’en France l’Armée n’a jamais officiellement interdit l’homosexualité, ce qui n’empêche pas les associations de pointer l’homophobie systémique de la hiérarchie. Aux États-Unis, il faut attendre 1994 pour que la loi interdise les enquêtes préliminaires sur l’orientation des recrues, mais impose à ces dernières de cacher leurs préférences sexuelles, et 2011 pour que toute discrimination officielle soit abolie.

Film à voir !

G.

Ci-dessous, un pdf de 2 pages en Anglais expliquant The Aversion Project.

En dessous, encore en Anglais, un rapport de l'équipe de recherche elle-même.

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