La fin des monstres, Tal Madesta
S’oublier, sauter, piquer, s’armer, douter, se battre, disparaitre, s’inventer, vivre, aimer.
Dix verbes qui illustrent une étape du parcours trans de l’auteur, journaliste spécialisé sur les questions LGBTQIA+. Découvert dans les podcasts de Victoire Tuaillon, « Désirer à tout prix », un premier essai, nous avait séduit.es. Ce deuxième essai, à la fois politique, poétique et autobiographique, a confirmé notre coup de cœur.
D’une écriture ciselée et lumineuse, Tal évoque sa trajectoire trans dans une société transphobe. Si le titre de l’essai est un clin d’œil au discours de Preciado, le regard porté est tout autre. Tal Madesta ne se définit pas comme un « monstre qui parle », mais offre un plébiscite pour la fin des monstres, c’est-à-dire la fin d’une société transphobe aux propos mortifères de plus en plus décomplexés.
Tal Madesta évoque son parcours de transition, son rapport à la famille, aux institutions, à l’amour, à l’espace public. Il témoigne de la violence que subissent les personnes transgenres, mais aussi de leur force et de leur résilience et appelle à une société plus inclusive et plus tolérante.
Il raconte l’enfance et l’adolescence entre la violence d’un père alcoolique, le rejet d’une mère qui peine à comprendre l’abandon de la féminité, l’injonction à la sexualité hétéropatriarcale.
Il aborde l’ambivalence de l’espace médiatique qui accorde plus de visibilité aux personnes transgenres tout en provoquant les attaques, attaques souvent consécutives aux récits de personnes cis. Cet essai est aussi une façon de prendre possession de la parole, de ne plus être un concept dans l’imaginaire cis. De parler de la réalité Trans pour et par une personne trans.
À la rhétorique anti-trans (sur les détransitions, la prétendue idéologie transgenre) , il répond par les chiffres et la raison. Il rappelle combien le cissexisme (ensemble de croyances hiérarchisant les identités en faveur des personnes cis) fait des ravages chez les personnes Trans. Car si la transidentité a été retirée des troubles mentaux par l’OMS, elle en porte cependant toujours les stigmates : le contrôle social et médical est permanent, l’accès aux soins difficile et oblige souvent à revêtir un costume stéréotypé.
Dans le chapitre « douter », il offre une image nuancée des transitions, tout en prenant le risque d’évoquer ses doutes, son découragement, ses peurs. Pourquoi le risque…parce que tout doute exprimé sur la transition est instrumentalisé et repris dans les discours transphobes.
De cette expérience du monde qu’il nous fait partager, malgré la violence de certaines situations (discriminations, rejets, bataille contre les institutions…) l’auteur a puisé la force de « renaître », de construire, en particulier avec Farrah. Et de conclure : « ce que ces supplicié.es de la norme perçoivent dans les regards profonds que l'on s'adresse c'est leur propre défaite face à l'amour ».
Un essai court (96 pages) mais indispensable et puissant.
Quelques chiffres :
En France 61% des personnes trans ont subi des violences au sein de leur famille dont 38% de violences physiques et 14% de violences sexuelles. 85 % des personnes trans seront victimes d'actes de transphobie au cours de leur vie. En 2023 les personnes trans françaises demeurent toujours interdites d'accès à la PMA, celles ayant fait conserver leurs gamètes avant la modification de leur état civil ne peuvent plus y accéder ensuite.
S..
À écouter /voir : « Je suis un monstre qui vous parle » Paul B. Preciado, lecture à la Maison de la poésie :