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C’est une histoire de rencontre, la rencontre de deux solitudes. D’un embrasement aussi : celui d’une caresse qui se propage comme un incendie. 
Xavier Kappus est un juge d’instruction, au crépuscule de sa vie, le corps rongé par un cancer. Un juge qui prend depuis longtemps des libertés avec les procédures, préférant l’intimité de son bureau à son domicile pour les interrogatoires plutôt que le Palais de Justice. 
Xavier a une fille, une femme. Ni heureux ni malheureux, la vie a passé ainsi, réglée par les habitudes et les conventions.
Le dernier dossier à instruire est celui de Julien Brévaille, un jeune incendiaire récidiviste.
Alors que le juge se meurt, Julien commence à peine à exister au travers de ses méfaits. Brévaille est le nom du village où à vingt mois il a été trouvé dans un fossé, abandonné par des parents alcooliques et déficients.
Julien est le prénom du père de « la mère à mioches », nourrice de l’aide sociale à l’enfance. Une identité façonnée par les autres, rempart contre la violence du monde, en particulier lorsqu’il est victime d’abus sexuels :« j'étais intact. Je le suis encore. C'est Brévaille qu'on a baisé, pas moi. C'est sur Julien qu'on a joui, pas sur moi. ».
Au fil des interrogatoires, une relation ambiguë se noue entre le juge et Julien, relation nourrie de regards, de confidences, d’histoires de vie qui s’entrecroisent ou se font écho : Julien a souhaité se fondre dans le feu qu’il a par sept fois déclenché sans y parvenir, Xavier, à 14 ans, a voulu disparaitre dans la Jabeuse, une rivière dont les courants l’ont ramené au rivage. 
La première partie du roman est écrite dans un style réaliste et cru. Julien décrit avec force et sensibilité ses conditions de vie en prison, les abus sexuels dont il a été victime. La violence est omniprésente dans sa vie, et la distance qu’il prend avec celle-ci est certainement le seul moyen qu’il ait trouvé pour s’en protéger. La seconde partie est plus poétique et symbolique. Plus sensuelle aussi. Elle est à l’image de la tendresse de la caresse de la main de Xavier sur la chevelure de Julien, à l’image de lèvres à peine effleurées.
Un roman court (186 pages dans sa version poche) mais dense et profondément touchant. On retrouve l’écriture de Navarre, poétique, provocatrice et bouleversante. Écrivain incontournable des années 70 et 80, évoquant son homosexualité à une époque où celle-ci demeurait tabou, auréolé du Goncourt pour le Jardin d’acclimatation (chroniqué ici : https://aisnelgbt.com/search/le%20jardin/) , Navarre est réédité depuis Novembre dernier par H§O.

S..

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