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Notre époque ne manque pas de films, de livres ou autres séries sur les peines et les joies des personnes lgbt+. Mais voilà, cette production conséquente demeure relativement récente et date de ces dernières décennies.
Les premiers romans évoquant l’homosexualité datent de la fin du 19e siècle. Il s’agit soit d’ouvrages interdits car portés sur le sexe, soit de récits présentant l’homosexualité sous un jour défavorable. Le roman L’Ersatz d’amour, publié en 1923 en France, constitue une forme d’entre-deux, entre condamnation et normalisation.
L’histoire se situe en 1913-1914. Un artiste peintre et violoniste parisien, délaissé par sa compagne, tente d’effacer sa déprime par un voyage en Allemagne. À Hambourg, il rencontre un jeune aristocrate et officier allemand, francophile et porté sur la musique, avec lequel il noue rapidement une amitié. Le jeune homme se montre entreprenant et, peu à peu, gagne notre français à ses charmes. Mais l’artiste doit combattre ses propres préjugés et oscille incessamment entre attirance et répulsion, culpabilité et justification d’une passade, principalement expliquée par la difficulté à faire face à une période de continence.
La rencontre permet à Willy et Ménalkas (Suzanne de Caillas) d’évoquer frontalement cette question de l’homosexualité qui hante les sociétés occidentales depuis le 19e siècle, tout en offrant un regard comparatif entre les deux pays. Le roman se défend de toute propagande en faveur de l’amour entre hommes, et charrie nombre de stéréotypes désolants : l’homosexuel entreprenant, c’est l’Allemand, officier de surcroit, trait qui rappelle le scandale Harden-Eulenburg qui ébranle les hautes sphères du militarisme outre-Rhin entre 1907 et 1909. L’homosexualité est alors présentée par la presse française comme un « vice allemand ».
Le français, qui se laisse finalement séduire, peut apparaître comme une victime du « boche ». C’est un artiste hétérosexuel, rongé par la culpabilité, contrairement à son alter ego de Hambourg. Dans les années 1920, le milieu artistique se montre sans doute plus tolérant envers les homosexuels, comme en témoigne l’écrivain Willy lui-même, entouré d’artistes ami.es gays, lesbiennes ou bi.es. Ce qui ne les empêche pas, avec Ménalkas et sans doute pour coller aux attendus sociaux, de prendre leur distance avec leur sujet !
Tolérance ? Si le roman décrit parfois nombre de lieux dans lesquels les homosexuels se retrouvent à Hambourg, les amis français du peintre se montrent de leur côté très homophobes, désertant peu à peu son atelier, dorénavant fréquenté par d’autres artistes « anormaux ». Le roman oscille lui-même incessamment entre condamnation et compréhension...
Reste qu’au fil des pages, la relation entre les deux hommes se renforce. Malgré le combat intérieur du français, c’est une véritable histoire d’amour qui émerge et qui semble devoir détourner définitivement le peintre des femmes. Une histoire d’amour mise à l’épreuve de la guerre qui éclate début août 1914...
Ce roman, réédité par les éditions GayKitschCamp ne manque pas d’attraits. Il témoigne notamment des difficultés rencontrées par les homosexuels en France, des homosexuels interdits de vie amoureuse « normale », contraints de se cacher, de mentir, de passer pour des hétérosexuels pour tenter de se protéger de la puissance destructrice de l’homophobie. 
Bref, malgré cette ambivalence et quelques saillies désespérément antisémites :-(, voilà un roman touchant.

L'Ersatz d'amour a été réédité par GayKitschCamp avec un autre roman, Le Naufragé, des mêmes auteur.es, qui en constitue la suite. Bientôt un compte rendu également...

G.

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