ÊTRE CHRETIEN.NE ET LGBT+ : UNE DOUBLE APPARTENANCE SOUS TENSION
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Préparer un café philo sur le thème de "la foi queer" n’est pas un exercice anodin pour moi. Marqué.e par une éducation catholique rigoriste qui m’a inculqué, parfois douloureusement, le syndrome de la "bonne élève" – cette obsession de la préparation irréprochable (même lorsque comme ici, ce n’est pas moi qui anime la discussion sur « La foi queer »), de la justification permanente, de la peur de l’erreur –, je mesure aujourd’hui l’ironie cruelle du sujet. Car c’est précisément cette même Église, qui exigeait de moi une obéissance intellectuelle et morale sans faille, qui a couvert les crimes sexuels de certains de ses membres, tout en condamnant sans nuance les personnes LGBT+.
Devenue athée par lucidité et par nécessité, je considère toute religion avec une méfiance structurelle, héritée de ces années où la foi se mêlait à la crainte du péché et à la honte du corps. Pourtant, par principe éthique autant que par respect pour la diversité des parcours, je refuse de fermer la porte à celles et ceux qui, à l’inverse, trouvent dans le spirituel un refuge ou une force. Mon rejet des dogmes ne signifie pas un rejet des croyant·es, et c’est cette distinction qui guide ma démarche : critiquer l’institution sans mépriser les individus qui la composent.
Être à la fois chrétien.ne et LGBT+ relève d’un paradoxe douloureux, une identité déchirée entre la foi et l’amour, entre la doctrine et le désir. Les personnes, quel que soit leur genre, tentent de concilier ces deux dimensions, souvent perçues comme incompatibles par les institutions religieuses. La gestion de cette dualité passe par des stratégies complexes, oscillant entre fidélité à l’Église, révolte silencieuse, et quête de nouvelles spiritualités inclusives. L’Église catholique, en France comme ailleurs, maintient une position ferme contre l’homosexualité, la qualifiant de « désordre intrinsèque » dans son Catéchisme (1992). Les Églises protestantes, bien que moins unifiées, restent majoritairement hostiles aux unions homosexuelles. Pourtant, nombreux sont celleux qui, élevé.es dans la foi, découvrent en grandissant une attirance pour le même sexe ou une identité de genre différente du sexe assigné à la naissance. Cette révélation provoque souvent un choc, une crise identitaire où la honte et la culpabilité rongent l’individu. Cette dissonance cognitive – concept emprunté à Festinger – est particulièrement aiguë chez les croyant.es LGBT+. Iels doivent naviguer entre l’amour de Dieu, qu’iels ne remettent pas en question, et le rejet de leur sexualité par l’institution qui incarne ce Dieu. Comment dès lors vivre cette dualité sans se renier ?
Des témoignages que nous avons lus, il apparaît que plusieurs voies sont empruntées par les chrétien.nes LGBT+ pour apaiser cette tension :
• Certain.es choisissent de séparer strictement leur vie religieuse et leur vie amoureuse. Dans l’Église, ils sont des fidèles modèles ; dans l’intimité, iels assument leur orientation sexuelle et/ou leur identité de genre. Cette stratégie, bien que fréquente, est épuisante psychologiquement.
• Une minorité tente d’oublier leur orientation sexuelle et/ou leur identité de genre, soit par l’abstinence, soit en se mariant hétérosexuellement. Ces parcours, souvent douloureux, témoignent d’une intériorisation profonde de la doctrine.
• D’autres revisitent les textes sacrés pour y trouver une légitimité. Iels insistent sur l’amour inconditionnel de Dieu, arguant que les condamnations bibliques concernent des pratiques anciennes et non l’homosexualité moderne par exemple. Cette relecture leur permet de rester croyants sans renier leur identité.
• Beaucoup cessent de fréquenter les lieux de culte traditionnels, non par perte de foi, mais pour préserver leur intégrité.
• Enfin, une infime minorité rejoint des communautés chrétiennes ouvertement inclusives, comme la Metropolitan Community Church (MCC). Pour elleux, ce passage s’apparente à une véritable conversion, avec ses étapes classiques : chaos, rupture, reconstruction. Contrairement aux pays anglo-saxons, où les Églises LGBT+ sont nombreuses, la France reste marquée par l’hégémonie catholique. Ainsi, beaucoup préfèrent rester dans l’Église traditionnelle, malgré ses contradictions, par loyauté culturelle.
Les chrétien.nes LGBT+ ne renoncent ni à Dieu ni à leur identité. Iels bricolent des spiritualités hybrides, entre fidélité et subversion. Certain.es parviennent à intégrer leurs deux dimensions identitaires ; d’autres vivent dans un équilibre fragile.
La méfiance et la peine ressenties par les personnes LGBT+ envers l'Église sont le résultat d'une longue histoire de marginalisation, de condamnation et de souffrance. Les scandales et les crises qui ont secoué l'Église ont renforcé la nécessité d'une réforme profonde et d'une remise en question des structures de pouvoir. La foi queer, dans ce contexte, apparaît comme une tentative de réappropriation de la spiritualité et de construction d'une identité croyante et inclusive. Elle invite à un dialogue critique avec les traditions religieuses, en cherchant à y trouver des ressources pour l'émancipation et la libération. Si le chemin est encore long, l'espoir d'une Église plus accueillante et respectueuse de la diversité demeure.
C’est précisément cette ouverture que j’espère rencontrer lors de ce café philoqueer du 11 avril : un espace où les voix étouffées peuvent résonner, où les paradoxes sont assumés, et où la vulnérabilité devient un terrain de rencontre plutôt que d’exclusion. Pour ma part, cette démarche ne signera pas ma réconciliation avec la religion – les cicatrices sont trop vives, les silences trop lourds. Cependant la foi n’est jamais univoque – elle peut à la fois briser et réparer, exclure et envelopper. Dans cette complexité, j’espère entendre des voix qui portent en elles les ferments de sa propre métamorphose.
S..
Rdv le 11 avril à 18h30 pour un café philoqueer, espace Matisse à Saint-Quentin