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Pussyboy nous entraîne dans une traversée intime, troublante, charnelle, où se mêlent désir, identité et transcendance. Ce récit, aux confins de l’autobiographie, donne à entendre une voix qui se dévoile au fil d’une relation particulière avec Zakaria, un amant récurrent. Leur lien échappe aux cadres traditionnels du couple ou du simple plaisir éphémère : il se construit dans une tension, entre abandon et répétition, entre fusion des corps et irréconciliable altérité.
Zakaria, jeune homme musulman venu du Maghreb, surgit et s’efface au rythme de rendez-vous brûlants. À travers lui, l’auteur interroge les fantasmes persistants que l’imaginaire homosexuel européen entretient autour de « l’Arabe viril » — figure stéréotypée mais obsédante, que la littérature et l’érotisme ont souvent figée. Le lit devient alors une scène mouvante, un espace de jeu et de travestissement ; les identités – raciales, sexuelles, sociales – se recomposent, s’inversent parfois, ou se consument dans la répétition.
Le corps ici est plus qu’un vecteur de plaisir : il est matière à déchiffrer. Les gestes ne se contentent pas de séduire, ils dénudent les rapports de pouvoir, révèlent des blessures enfouies, exhument des vérités. Le narrateur s'y fait explorateur de lui-même, s’enfonçant dans les strates de son désir comme on exhume un texte ancien, sacré et maudit à la fois. Zakaria n'est plus seulement un partenaire, mais le reflet fragmenté d’un Orient rêvé, d’une virilité fissurée, d’une foi tiraillée entre l’appel de la prière et l'abandon des draps.
La figure du pussyboy, garçon-chatte, bouleverse les frontières du genre. Le narrateur floute les contours du masculin et du féminin. Le phallus, symbole classique de la puissance, est ici signe ambivalent, chargé d'une poésie étrange. Les organes, détachés de leur seule fonction biologique, deviennent des symboles, des objets de culte, presque des reliques. Chaque étreinte accède au statut de rituel, chaque contact se fait prière, chaque orgasme, offrande. Le récit élève ainsi l’érotisme au rang de cérémonie, mêlant chair et foi dans un même souffle.
« Plus je me sens femme, plus je bande », confesse le narrateur. Cette phrase résume la tension permanente du texte, où l’extase sexuelle se transforme en tentative de dépasser les carcans, d’échapper aux cases imposées. La jouissance se mue ainsi en cri, ou en silence — celui d’un monde avant le langage, d’un désir vierge de tout discours
Et pourtant, tout cela s’écrit. Paradoxe sublime : le roman tente de dire ce qui échappe aux mots. Il sculpte des phrases pour mieux en ébranler les assises, érigé sur des contradictions assumées. Il bâtit sur le sable du sens des cathédrales érotiques, pour mieux les laisser s’effondrer.
Dans cette zone floue  se rejoignent amour, foi et sexe ; une possibilité fragile se dessine : celle de désarmer les préjugés, même si ce désarmement n’est jamais définitif. Le lien entre les deux hommes, toujours menacé par le départ, par la norme, par les limites du réel, reste suspendu, comme une prière non exaucée.
Le texte est aussi tissé de résonances littéraires et spirituelles. De Gide à Genet, de Verlaine à Thérèse d’Avila, en passant par les Écritures – bibliques et coraniques –, les références abondent, sans jamais peser. Elles soulignent combien la religion, loin d’être opposée au corps, y est parfois intimement liée. Le sacré affleure dans les plis de la peau, dans les mots murmurés, dans l’interdit transgressé.
Mais derrière la tension du plaisir et la quête de l’absolu, c’est aussi l’histoire d’un amour bancal, d’un rêve qui s’évanouit toujours un peu trop vite, d’un homme qui est déjà ailleurs.
Pussyboy n’est pas un simple récit érotique. C’est un vertige. Une prière charnelle. Un cri silencieux. Un livre qui laisse des traces, brûlantes et lumineuses, comme les stigmates d’une extase interrompue.
S..

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